Comment prémunir nos infrastructures contre les catastrophes naturelles?

Gazette
Le professeur Ioan Nestor se tient devant un bâtiment et un navire ravagés par le tsunami survenu en 2011 dans la région de Tōhoku au Japon.
Grâce au financement de la Fondation canadienne pour l’innovation, de nouveaux simulateurs de tsunami et de séismes s’apprêtent à faire des vagues au Laboratoire de génie des ressources hydriques de l’Université d’Ottawa. Cet équipement de recherche unique en son genre aidera les professeurs Ioan Nistor et Colin Rennie, de la Faculté de génie, à mieux comprendre les effets des phénomènes extrêmes liés à l’eau sur nos infrastructures ainsi que les moyens de les atténuer.
Photo du simulateur multirisque
portraits de ioan Nistor et Colin Rennie

Les tsunamis sont un scénario plus qu’improbable à Ottawa. Or, grâce au financement de la Fondation canadienne pour l’innovation, ils deviendront bientôt chose courante sur notre campus. 

Les simulateurs de tsunamis et de séismes du Laboratoire de génie des ressources hydriques provoqueront bientôt de grands remous au Complexe STEM de l’Université d’Ottawa. Cette installation de recherche expérimentale est la seule au monde dotée d’une table à secousses sismiques immergée pour modéliser les effets des tremblements de terre sous-marins, d’un générateur de vagues sur mesure pour produire des lames semblables à celles des tsunamis, et d’un système de recirculation des sédiments pour simuler les processus d’érosion et de sédimentation qui altèrent les rivières et les zones côtières.

C’est à même ce laboratoire que les professeurs de la Faculté de génie Ioan Nistor et Colin Rennie codirigeront une équipe internationale d’universitaires et de spécialistes du gouvernement et de l’industrie cherchant à atténuer et à prévenir les dommages et les décès attribuables aux dangers liés à l’eau.

Cette collaboration est l’un des cinq projets de l’Université d’Ottawa à se partager la somme de 23 millions de dollars provenant du concours 2020 du Fonds d’innovation.

Nous avons demandé aux professeurs Nistor et Rennie de nous parler de leurs nouveaux systèmes de simulation et de nous expliquer en quoi cet équipement unique contribuera à protéger nos infrastructures et nos communautés côtières.

Ce simulateur semble digne d’un plateau de tournage à Hollywood. À quoi ressemble-t-il, et comment fonctionne-t-il?

Le simulateur multirisque sera un outil de recherche expérimentale : un canal d’adduction d’eau conçu pour imiter les courants fluviaux et côtiers que l’on adaptera pour étudier les inondations, les tsunamis, les ondes de tempête et les séismes.

Notre laboratoire dispose d’un large réservoir d’eau et de deux pompes à grand débit qui généreront un courant dans le canal, lequel fait 30 mètres de longueur, 1,5 mètre de largeur et 1,4 mètre de profondeur. Le canal est doté d’une barrière spéciale à ouverture rapide qui permet d’emmagasiner l’eau et de la libérer d’un coup pour créer des vagues comme celles des tsunamis et des ruptures de barrage.

Le générateur de vagues consistera en une grande pale verticale qui s’actionnera avec précision d’avant en arrière pour créer des ondes de surface comme celles qui submergent les zones côtières pendant les tempêtes. Comme une des parois latérales du canal est faite de verre, on pourra observer l’impact des courants et des vagues extrêmes sur les infrastructures.

La crue des eaux fluviales et les tsunamis ont un pouvoir d’érosion préoccupant, car il peut transporter les sédiments et déstabiliser notamment les routes et les immeubles. Notre système de recirculation comporte une puissante pompe à boue, ce qui nous permettra d’étudier ces processus en renvoyant les sédiments de l’autre côté du canal.

Enfin, la table de secousses sismiques sous-marines sera une vaste plateforme horizontale à l’intérieur du canal; elle s’agitera latéralement et/ou verticalement pour simuler un séisme. Avec cet outil unique, nous pourrons étudier les dommages provoqués par les tremblements de terre sur les barrages et autres installations hydrauliques, comme les brise-lames, les plateformes de forage en mer et les tours éoliennes.

On pourrait s’y baigner?

Techniquement, on pourrait se baigner dans le nouveau canal, voire s’y promener en kayak. Mais les règles de sécurité en laboratoire nous l’interdisent. On pourrait un jour mener des recherches sur la stabilité des personnes exposées à des débits extrêmes, comme lors de la crue soudaine des eaux. Alors oui, il serait peut-être possible de s’y baigner, mais seulement au nom de la science!

Comment vos travaux de recherche se transposeront-ils dans la vraie vie?

Les humains se sont toujours établis près des rivières et des côtes. Or, ces communautés sont de plus en plus vulnérables aux tempêtes, aux ouragans et aux inondations. Les recherches que nous réaliserons grâce au simulateur nous amèneront à mieux comprendre ces vulnérabilités.

En règle générale, nos routes, ponts, digues, ports et immeubles sont conçus pour se soustraire ou résister aux courants et aux tempêtes que nous avons observés par le passé. Les changements climatiques semblent toutefois accroître la fréquence et l’ampleur des débordements fluviaux et des ondes de tempête, ce qui entraîne de plus grands risques pour nos infrastructures. Ces risques sont d’autant plus importants que nos infrastructures, que ce soit au Canada ou ailleurs, commencent à dater.

Les recherches réalisées grâce au simulateur déboucheront sur de nouveaux codes et de nouvelles normes auxquels les ingénieurs praticiens feront appel pour concevoir et entretenir nos infrastructures. En analysant les phénomènes de débit extrême, nos recherches peuvent guider les stratégies d’entretien des infrastructures et mener à de nouvelles solutions à la fois résilientes et durables. Nous pourrons aussi mettre ces solutions à l’essai pour voir si elles survivent à nos simulations de courants extrêmes.

Pouvez-vous donner des exemples de populations vulnérables qui profiteront de vos travaux?

Certaines communautés historiques qui se sont établies dans des plaines inondables, comme à Pointe-Gatineau, demeurent menacées. En comprenant mieux comment l’eau des rivières se propage à travers les quartiers pendant les crues, nous pourrons mettre au point et tester des stratégies d’atténuation et des solutions d’infrastructure pour réduire les risques d’inondation.

La côte ouest canadienne est parfois menacée par d’importants séismes et des tsunamis; par le passé, de tels événements ont ravagé les communautés riveraines. Le simulateur nous aidera à bâtir des infrastructures durables, en plus d’aider les équipes de planification des opérations d’urgence à concevoir des stratégies d’atténuation adéquates.

La fonte des glaces et les tempêtes de plus en plus fréquentes et intenses dans l’océan Arctique exposent aussi l’Arctique canadien à de nouvelles réalités difficiles. Les changements climatiques ouvriront de nouvelles routes navales dans le nord, mais ils présenteront aussi des défis pour les ports actuels et futurs dans cette région.

D’où vient votre intérêt pour ce type de recherche? Qu’aimez-vous le plus de votre travail?

[Ioan Nistor] : Pendant mes études doctorales au Japon, j’ai été exposé aux séismes et aux typhons. Leur force incroyable et mon sentiment d’impuissance devant ces événements ont piqué ma curiosité. J’ai voulu comprendre ce qu’on peut faire pour protéger les gens et les structures.

Plus tard, en menant des enquêtes d’ingénierie légale dans des zones côtières ravagées par des tsunamis et des ouragans extrêmes, j’ai réalisé qu’on avait très peu fait pour protéger certaines de nos infrastructures essentielles – et les personnes qui s’y réfugient – pendant ces événements.

Au quotidien, j’adore travailler avec mes étudiantes, mes étudiants et mes pairs, de qui j’apprends beaucoup. Je dois aussi souligner que mon travail en ingénierie côtière m’a amené à visiter certaines des plages les plus magnifiques du monde, ce à quoi je rêvais depuis que j’étais petit.

[Colin Rennie] : J’ai toujours passé beaucoup de temps à contempler les rivières. J’ai grandi dans une ville où les vallées des rivières étaient restées naturelles : on avait sagement veillé à ne pas bâtir dans les plaines inondables pour se soustraire à la crue des eaux. Quand j’étais jeune, je jouais souvent dans ces vallées boisées qui m’attiraient tant.

Cela dit, on voyait bien que les eaux pluviales résiduelles des quartiers adjacents avaient déstabilisé les rivières, et que la qualité de l’eau et l’habitat des poissons en souffraient. C’est ce qui m’a initialement motivé à étudier les rivières.

Depuis, j’ai eu la chance inouïe d’examiner les processus d’érosion et de sédimentation qui sculptent les rivières partout dans le monde. Ces dernières années, j’ai observé les effets dévastateurs de crues majeures, comme celles survenues à Ottawa et à Gatineau en 2017 et 2019, de même qu’à Calgary en 2013. Ces événements m’ont incité à m’intéresser de plus près à la dynamique des inondations dues à la crue des eaux, dans le but d’avancer des solutions pour atténuer les risques.