L’art d’enseigner l’enseignement des arts : une entrevue avec le professeur Michael Wilson

Gazette
Portrait du professeur Michael Wilson
Ancien musicien de jazz qui enseigne aujourd’hui à la Faculté d’éducation de l’Université d’Ottawa, le professeur Michael Wilson a contribué à l’évolution de l’enseignement des arts au Canada. Dans cette entrevue, il discute de son parcours et de l’avenir de l’enseignement des arts dans la foulée de la pandémie.

Après avoir brièvement flirté avec une carrière de musicien de jazz à Montréal, Michael Wilson a bifurqué vers l’enseignement, sans toutefois renier sa fibre artistique. En effet, selon le professeur Wilson, l’enseignement est un art vivant en soi. En tant que professeur, il enseigne aux futurs enseignants en arts à mettre l’imagination, la créativité et l’innovation au premier plan dans leurs pratiques pédagogiques, ce qu’il appelle « the practice of artistry » (la pratique artistique de l’enseignement) dans son livre In a grain of sand: A new Vision of Arts Education, publié en 2012.

De retour au Canada après avoir terminé des études supérieures en enseignement à Londres (Angleterre) en 1973, Michael Wilson a d’abord travaillé comme expert-conseil en théâtre et coordonnateur des arts auprès de conseils scolaires. Il a été embauché à l’Université d’Ottawa en 1989, où il a donné des cours en arts intégrés et en art dramatique, et a créé des cours de perfectionnement pour enseignants en collaboration avec le Centre national des Arts, le Musée des beaux-arts et le Musée canadien de l’histoire.

Le professeur Wilson est le directeur fondateur de la cohorte ICI (imagination, créativité et innovation) du programme de Teacher Education de l’Université d’Ottawa, cohorte axée sur l’expérience esthétique, c’est-à-dire la façon dont la perception, l’appréciation et la production de l’art façonnent notre identité et notre compréhension du monde.

Il est aussi président et cofondateur de la National Roundtable on Teacher Education in the Arts, un forum de discussion et incubateur de visions, stratégies et principes touchant tous les aspects de l’enseignement des arts.

Dans cette entrevue, le professeur Wilson discute de son parcours et de l’avenir de l’enseignement des arts dans la foulée de la pandémie.
 

Vous avez mené une longue et impressionnante carrière en enseignement des arts, inspirée entre autres par vos débuts comme musicien de jazz. Pourquoi avez-vous bifurqué vers l’enseignement?

MW : J’enseigne effectivement depuis longtemps (1965), mais je ne sais pas si je qualifierais ma carrière d’impressionnante. En fait, je suis passé près de couler mes études de premier cycle à McGill en 1964, parce que je venais de découvrir Montréal et sa scène de jazz très vivante. J’ai eu la chance de jouer dans un club sur la rue Victoria (en face de l’université) pendant 18 mois (de 1962 à 1964) et j’ai appris à survivre en tant que trompettiste (je jouais surtout du bugle) au sein de divers ensembles. À certains (rares) moments, j’avais l’impression de toucher à l’universel quand je jouais, mais bien souvent, l’objectif était surtout d’arriver tous à la fin de la pièce en même temps!  Il y avait beaucoup de musiciens plus talentueux et passionnés que moi à Montréal, et c’est pourquoi j’ai fini par partir. Je ne savais pas trop quoi faire de ma vie, puis je suis tombé sur une brochure de l’Université de Toronto qui offrait un certificat en enseignement du théâtre. Comme j’avais fait un peu de théâtre à McGill pendant mes études, je me suis dit que ce serait intéressant d’enseigner dans un domaine où je m’étais « amusé » quelques années. Quand j’ai obtenu mon certificat, il y avait une pénurie d’enseignants en Ontario. Dès le premier jour de recrutement dans les conseils scolaires, j’ai reçu trois offres d’emploi permanent! C’était en 1965. J’ai donc abouti en enseignement par accident. Un accident qui dure depuis toutes ces années.
 

Vos études supérieures — tant à la maîtrise qu’au doctorat — portent sur le concept d’« artistry » dans l’enseignement des arts. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là?

MW : Dans mon doctorat, je me suis intéressé à ce qui détermine l’efficacité de l’enseignant dans les relations pédagogiques. Comme une bonne part de mon expérience en enseignement est liée à la dimension esthétique, je voyais des parallèles entre les pratiques artistiques (quel que soit le médium) et les signaux presque tacites qu’utilisent souvent les enseignants. Un simple geste, une simple posture ou même la relation physique de l’enseignant et de l’élève peuvent influer profondément sur la profondeur et l’efficacité de la communication. Pour bien enseigner, quel que soit le niveau ou le domaine, il faut un degré de conscience que la philosophe Maxine Greene appelle « the art of noticing deeply » (l’art de remarquer les moindres détails), le même talent à la base de la plupart des pratiques artistiques. L’enseignement exige autant d’intuition, d’imagination, d’ouverture au risque et de spontanéité que les arts vivants. De façon globale, c’est ce que j’appelle l’« artistry ».
 

La pandémie de COVID-19 a porté un dur coup au milieu des arts et de l’enseignement des arts. Malgré toutes les annulations de spectacles et les fermetures d’écoles, on a aussi vu émerger beaucoup de créativité et d’innovation en réponse à cette crise mondiale. Dans le contexte actuel, que diriez-vous aux enseignants du présent et de l’avenir?

MW : Il va sans dire que la situation actuelle présente certains défis. La plupart du temps, ce n’est pas tant la matière qui marque les étudiants dans un cours que l’aura professionnelle du professeur. L’enseignement en ligne est difficile parce que la technologie enferme la relation dans un autre cadre, une image en deux dimensions, ce qui impose une distance et nuit à la profondeur de la communication. Il est important que la formation en enseignement ne se passe pas exclusivement en ligne et permette des expériences en personne dans la mesure du possible. C’est absolument critique dans l’enseignement des arts, mais aussi dans beaucoup d’autres domaines. La technologie offre de nombreuses façons inventives et créatives de présenter la matière, mais on ne peut pas faire l’économie totale de l’expérience d’enseignement et d’apprentissage en personne. Sinon, les robots prennent le dessus.
 

La pandémie de 2020 a été à la fois une source de défis et d’occasions dans le secteur de l’enseignement. En ce qui a trait à l’enseignement des arts et à la formation en enseignement à l’Université d’Ottawa, qu’espérez-vous pour 2021 et les prochaines années?

MW : Je pense que la pandémie nous donne la liberté de réfléchir à la façon de transformer le paradigme de l’éducation dans son ensemble. L’école publique est trop formelle, trop structurée et en général trop rigide. Elle semble être organisée d’abord et avant tout dans un objectif d’efficacité organisationnelle. Maintenant que la pandémie a compromis cette efficacité en imposant l’éloignement physique, la ventilation adéquate des salles de classe et une nouvelle dynamique entre l’enseignement en ligne et en présentiel, nous avons la possibilité de repenser l’école de A à Z. Sortons les élèves des écoles. Amenons-les au parc, par exemple, pour aiguiser leur acuité perceptuelle et les préparer à vivre des expériences créatives et esthétiques. Remettrons-nous en question la nécessité d’enfermer l’enseignement entre quatre murs en permanence? Peut-on se poser la même question dans le domaine de la formation à l’enseignement? Nous avons là une chance de mettre le jeu, l’imagination, la créativité et l’expérience esthétique au centre de nos programmes de formation en enseignement pour les étudiants d’aujourd’hui et de demain.