L’équité technologique pour les petites exploitations agricoles

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Technologie
Kelly Bronson et Mascha Gugganig
Diversity by Design est un projet de recherche interdisciplinaire qui explore comment les technologies émergentes en agro-industrie pourraient profiter aux petites exploitations agricoles et diversifier le paysage agroalimentaire.

Les cultures maraîchères, les petites fermes ou les exploitations agricoles vouées à l’agriculture agroécologique, biologique ou régénérative sont désavantagées par le système actuel d’innovation numérique. Les grandes entreprises de l’industrie agricole, souvent subventionnées par le gouvernement, disposent des ressources nécessaires à la numérisation de leur équipement et tirent parti de la collecte de données agricoles – ce qui laisse en jachère les exploitations de moindre taille ou alternatives.

Le coût élevé de la machinerie et de la technologie utilisées pour la collecte de données agricoles ainsi que des ressources pour faire fonctionner ces outils a généré des inégalités entre les productions de petite échelle et les fermes industrielles, en plus de soulever des questions en matière de propriété des données.

 

Le projet Diversity by Design

À l’Université d’Ottawa, un projet de recherche démarré en 2021 et dirigé par Kelly Bronson, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la science et la société, et Mascha Gugganig, stagiaire postdoctorale Alex-Trebek en intelligence artificielle et environnement, vise à déterminer comment les technologies émergentes de l’agro-industrie pourraient profiter aux petits agriculteurs, ainsi qu’à cerner et à expliquer les limites de ces technologies.

Appuyé par le Forum pour le dialogue Alex-Trebek et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), Diversity by Design ‒ un projet de recherche d’une durée de trois ans ‒, porte sur les adaptations techniques et politiques essentielles à l’implantation équitable des technologies. Les résultats orienteront l’avenir du paysage de l’agroalimentaire et aideront à sa diversification.

 

La mise au jour des inégalités

Le projet exploite l’approche participative et les méthodes de recherche qualitatives, et comprend des ateliers, webinaires, entrevues et visites sur le terrain, ce qui met en place un espace propice aux échanges et à la familiarisation avec les technologies pour les agriculteurs et agricultrices, les équipes de conception technologique, les décisionnaires et les groupes de recherche. L’objectif est d’aider les divers groupes à mieux comprendre si les technologies numériques peuvent servir les petites exploitations agricoles, et dans l’affirmative, de voir comment et quelles technologies seront avantageuses pour elles.

Jusqu’ici, les entrevues et les groupes de discussion laissent entrevoir ce que la professeure Bronson appelle une « fracture numérique ».

« Il s’agit d’une inégalité dans la façon de concevoir la technologie », explique-t-elle. « Tout le monde n’a pas l’accès ou bien les compétences nécessaires pour profiter des technologies. Conséquemment, certaines personnes ne peuvent avoir recours à la technologie qui oriente les décisions relatives à la production alimentaire. »

La professeure ajoute: « Nous observons de la méfiance chez les propriétaires de petites exploitations agricoles à l’égard des outils numériques, car ils les associent au pouvoir des grandes entreprises ».

Même si l’agriculture industrielle constitue la majeure partie du système alimentaire, la présence de petites exploitations agricoles et maraîchères dans divers milieux fermiers est essentielle. « Elles sont un atout pour la durabilité du système alimentaire global et pour la résilience climatique. Au Canada, l’infrastructure alimentaire industrielle produit plus du tiers des émissions de gaz à effet de serre; le portrait est le même ailleurs dans le monde ».

Jason Millar a mis les ateliers sur pied. Il rappelle l’importance de rassembler un groupe diversifié de partenaires et de considérer ce qu’ils ont à dire.

« Il est crucial d’inclure leurs préoccupations, leurs souhaits et leurs intérêts à la conversation », affirme Millar. « Je veux trouver comment mettre au jour les enjeux éthiques découlant des technologies existantes et voir comment les technologies pourraient être mieux adaptées à l’atténuation des inégalités. »

 

L’innovation pour tous et toutes en agriculture

Le secteur privé et les décisionnaires (comme Agriculture et Agroalimentaire Canada) seront impliqués plus directement dans la dernière phase du projet: la mise à l’échelle. Ils recevront les résultats issus des ateliers, ainsi que des recommandations portant sur l’orientation des efforts en innovation du gouvernement en matière de réglementation et d’investissements.

L’équipe a aussi eu des discussions avec Microsoft Canada. « Ils souhaitent intégrer l’innovation dans le marché et nous aider à faciliter la réalisation des idées avec les agriculteurs et le privé lorsqu’il y a des possibilités de commercialisation », dit la professeure Bronson.

La chercheuse croit que le milieu universitaire et les secteurs privé et public ont la responsabilité de concevoir des plateformes numériques et des règlements pour veiller aux respects des besoins opérationnels et des droits à la vie privée et à la protection des données personnelles des petites exploitations agricoles. « Finalement, il serait tragique de perdre d’autres fermes canadiennes. Nous ne pouvons pas laisser les petites exploitations agricoles être marginalisées ou exclues des changements technologiques », explique-t-elle.


L’équipe recherche du projet Diversity by Design est composée de Kelly Bronson, professeure à l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la science et la société; Mascha Gugganig, stagiaire postdoctorale Alex-Trebek en intelligence artificielle et environnement; en collaboration avec Irena Knezevic, professeure à l’Université Carleton; Sara Marquis de l’Université d’Ottawa; Jason Millar de l’Université d’Ottawa; et David Szanto (Ph.D.), enseignant et consultant.