Monique Frize, notre première diplômée féminine en génie

Gazette
Monique Frize, wearing a hat, on a balcony in Paris.
Championne des femmes en STIM, une pionnière en génie de l’Université d’Ottawa raconte son parcours.

 
Monique Frize in graduate's gown.
Monique Frize sits in her living room holding three medals.
Monique and Peter Frize sit in their living room with a cat and dog.

Par Alex Latus

Première femme à obtenir un diplôme en génie à l’Université d’Ottawa, Monique Frize (B.Sc.A. 1966) a poursuivi une brillante carrière en tant qu’ingénieure biomédicale. La Bibliothèque s’est entretenue avec cette championne des femmes en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STIM), dans le cadre de la mise en œuvre des Archives canadiennes des femmes en STIM.

Pourquoi avez-vous choisi de poursuivre des études en génie?

J’ai rencontré un jeune homme quand je jouais au bridge. Il m’a fait découvrir le génie électrique, m’a montré son labo, et ça m’a fascinée tout de suite. Je me suis dit : « C’est moi, tout ça. C’est ce que je vais faire. » On s’est mariés un an plus tard, mais il est mort dans un accident de voiture. C’était le 30 septembre 1963 — je venais d’entamer mes études. J’ai décidé de les continuer pour lui. Cela n’a pas été facile : par moments, j’avais envie de baisser les bras, mais j’ai tenu bon, et c’est vraiment grâce à son inspiration.

Parlez-nous de l’ambiance dans laquelle vous étudiiez le génie dans les années 60.

J’étais la seule femme dans toute la Faculté de génie, qu’on appelait « sciences appliquées » à l’époque. Parfois, je me demandais : « Qu’est-ce que je fais ici? Suis-je bien à ma place? » Ces doutes me tenaillaient de temps à autre, mais ma résolution finissait par prendre le dessus : « Je suis ici, je vais réussir et je n’abandonnerai pas! » Car j’étais très têtue.

Les professeurs étaient bienveillants. Il y en avait un qui saluait la classe en disant : « Bonjour messieurs… oh, et mademoiselle. » Ils étaient maladroits parce qu’ils ne savaient pas trop comment aborder cette nouveauté, mais je ne m’en formalisais pas. Les étudiants étaient aimables aussi : les garçons dans ma classe (nous étions 13) étaient comme des frères pour moi. J’adorais l’équitation et un jour, un énorme cheval appelé Thunder (Tonnerre) m’a jetée à terre. Je me suis fait très mal au pouce et j’ai dû m’absenter des cours pendant deux jours. Deux camarades de classe sont venus frapper à ma porte, inquiets : « Tu n’as pas abandonné, n’est-ce pas? Tu vas revenir? Ce n’est pas pareil sans toi! » Ça m’a vraiment fait chaud au cœur.

Avez-vous eu de la difficulté à décrocher votre premier emploi au sein d’un secteur dominé par les hommes?

Pas vraiment. J’ai obtenu mon premier poste, à Montréal, après une demi-douzaine d’entretiens d’embauche seulement. Je crois que l’époque était propice, car les sociétés commençaient à s’ouvrir à l’idée de recruter des femmes. Et comme elles se savent moins nombreuses, les femmes dans ce domaine sont de véritables fonceuses, elles travaillent sans relâche pour montrer qu’elles sont capables. Alors on peut dire que mes employeurs ont eu de la chance!

Vous êtes une pionnière pour les femmes en STIM. Était-ce votre ambition dès le départ ou est-ce venu petit à petit malgré vous?

Je pensais être un modèle, car quand on me demandait ce que je faisais dans la vie, j’étais incontestablement fière de répondre : « Je suis ingénieure. » Mais à l’époque, je m’efforçais surtout de consolider ma carrière, donc je pense qu’en fait, c’est venu petit à petit. Déjà, avant d’obtenir la première Chaire pour les femmes en sciences et en génie du CRSNG, je visitais des écoles et j’avais plaisir à rencontrer des jeunes, surtout des filles. Je me suis donc concentrée sur cela. Lorsque la Chaire a été lancée, j’ai répondu à l’appel à candidatures. Ce n’est que plus tard que j’ai réalisé que j’étais une féministe qui prenait peu à peu conscience de toutes les questions relatives au genre auxquelles je n’avais pas vraiment songé auparavant. C’est devenu une passion pour moi.

Dans votre livre The Bold and the Brave (Braves et audacieuses, ndlt, paru en 2009), vous examinez l’évolution du rôle des femmes en sciences et en génie. Qu’est-ce qui a changé et qu’est-ce qui est resté pareil?

Si vous jetez un coup d’œil sur les 20 dernières années, vous constaterez peu de changements dans certains domaines, comme le harcèlement. Malgré la campagne #MoiAussi, on est toujours confrontées à une mentalité qui veut que « les hommes resteront toujours des hommes » et le manque de respect aux femmes qui en découle. Certaines entreprises ont mis en place des pratiques exemplaires, mais d’autres n’ont rien de concret. J’encourage les femmes à ne pas postuler n’importe où, car il y a d’excellentes entreprises qui favorisent le recrutement et la rétention des femmes. Tout dépend de l’endroit.

Par contre, le taux d’inscription des femmes dans les programmes de STIM a augmenté. À mon époque, j’étais la seule femme dans ma faculté. Aujourd’hui, l’effectif étudiant féminin se monte à 17 %, ce qui représente un certain progrès. La faculté elle-même et le milieu ont avancé, aussi : il n’y avait pas de professeures femmes de mon temps, mais actuellement, le corps professoral se compose de 10 ou 12 % de femmes. On a encore bien du chemin à parcourir, mais les choses sont mieux qu’autrefois.

Comment en êtes-vous venue à participer aux Archives canadiennes des femmes en STIM?

Il y a une dizaine d’années, je feuilletais de nouveaux ouvrages sur les sciences et j’ai constaté qu’ils ne portaient que sur des hommes. Vers cette même époque, quelqu’un m’a appelée pour me proposer de figurer dans un nouveau manuel de mathématiques. J’étais la seule femme servant de modèle dans le livre! Je me suis rendu compte, non sans une certaine stupéfaction, que le public ne connaissait pas l’histoire des femmes en STIM.

Et puis, Ruby Heap, professeure d’histoire à l’Université d’Ottawa, m’a prié de conserver tous mes articles pour les Archives. À présent, je fais de même avec d’autres femmes. J’ai compris que si les historiens vont raconter le parcours des femmes, alors il faut préserver les publications et dissertations de celles-ci.

Quels conseils offririez-vous aux jeunes femmes qui étudient les STIM aujourd’hui?

Je trouve que beaucoup d’étudiantes manquent de confiance en soi. Elles ont tendance à minimiser leur degré de savoir. Alors, je leur dirais : « Croyez en vous et ne vous comparez pas aux autres. » Ce qui compte, c’est de progresser chaque jour. Et persévérez, car la persévérance est capitale. Enfin, sachez que vous êtes à votre place, que vous soyez la seule femme dans la salle de classe ou une parmi une vingtaine. Un avenir prometteur vous attend.