Un panel d’experts se penche sur la diversité sexuelle et de genre

Gazette
Un membre de la population étudiante traverse le passage piéton de la fierté sur le campus.
Quels sont les grands obstacles que doivent franchir les membres de la communauté LGBTQI2S+ en recherche ainsi que dans les arts, les sciences et la technologie? Quelles stratégies pouvons-nous mettre en place pour créer des milieux réellement diversifiés sur les plans du genre et de l’identité sexuelle? Voilà quelques-unes des questions qui ont été soumises à un panel interdisciplinaire réuni par le Cabinet du vice-recteur à la recherche de l’Université d’Ottawa le 17 mai dernier pour souligner la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie.
Professeure Dominique Bourque
Naoufel Testaouni, président de QueerTech
Debbie Owusu-Akyeeah, directrice générale du Centre canadien de la diversité des genres et de la sexualité
Professeur Stephen Brown
Professeure Stacey Smith?

Il semble que l’un des moyens communément utilisés par les membres de la communauté LGBTQI2S+ pour se protéger contre la stigmatisation sociale soit de se rendre invisibles. Or, c’est notamment en raison de leur invisibilité qu’ils sont sous-représentés en recherche et que les politiques et les programmes du Canada ne répondent pas à leurs besoins.

À la mi-mai, le Cabinet du vice-recteur à la recherche a invité un panel interdisciplinaire à cibler les défis que les membres de la communauté LGBTQI2S+ doivent relever en recherche, dans le milieu universitaire ainsi que dans les arts, les sciences et la technologie. Le groupe a aussi discuté de stratégies pour créer des milieux réellement sur les plans du genre et du sexe, ce dont tout le monde profiterait.

Voici quelques points saillants de ces discussions :

Certaines citations ont été modifiées par souci de concision.
 

Le paradoxe de l’invisibilité

« Le principal défi que relèvent les lesbiennes dans nombre de sociétés est la lutte contre la réduction de leur personne à leur sexe et à la sexualité », explique Dominique Bourque, professeure à la Faculté des Sciences sociales de l’Institut d’études féministes et de genre et au Département de français de la Faculté des arts.

« Plutôt qu’une identité, le lesbianisme représente, pour plusieurs d’entre elles, une stratégie de résistance aux attentes qui pèsent sur les femmes en général. Il leur offre une manière d’inventer leur vie. »

Les recherches de Mme Bourque sur les réalisations artistiques et universitaires de lesbiennes francophones du Nord lèvent le voile sur leurs priorités et sur leur appartenance à cette communauté. Elles illustrent aussi certaines conséquences associées au fait de rester dans l’ombre.

« [La] visibilité ne figure pas au premier rang de leurs priorités. Leurs préoccupations portent davantage sur les violences faites aux êtres humains, en particulier celles ciblant les femmes. En se tenant à distance des médias, elles évitent les cadrages qui les stéréotypent, mais restent invisibles pour les jeunes lesbiennes et celles qui sont isolées ou vivent dans la clandestinité. »
 

La communauté LGBTQI2S+ doit être mieux soutenue dans les STIM

Pour Naoufel Testaouni, co-fondateur et président de QueerTech, un organisme qui s’est donné pour mission d’ouvrir des portes à la communauté LGBTQI2S+ dans l’industrie des technos, le plus grand problème est le manque de données sur chacun des groupes.

« C’est tellement complexe en raison de la grande intersectionnalité – orientation sexuelle, identité de genre, ethnicité, etc. », dit-il. « Il existe peu d’études sur les communautés bisexuelle, transgenre et intersexuelle, pour ne nommer que celles-là, en particulier dans les technos. On a par conséquent tendance à mettre tout le monde dans le même panier quand on parle des obstacles que les membres de ces communautés doivent franchir, dans nos recherches, nos programmes, nos formations, etc. »

Selon Naoufel, l’analyse des données dont QueerTech dispose montre que de nombreux membres de la communauté LGBTQI2S+ font état de barrières au travail, au recrutement et à l’intégration, et dans leur vie au quotidien.

« Nombre de membres de la communauté LGBTQI2S+ ont le sentiment de mener seuls la bataille contre la discrimination et le racisme, et ne perçoivent aucun soutien de la part de leur employeur ou de leur milieu de travail », poursuit-il. « C’est vrai aussi dans le milieu universitaire. De nombreux membres de la communauté étudiante disent ne pas avoir de sentiment d’appartenance et prévoient de laisser tomber les STIM en raison de la pression qu’ils ressentent. »

Naoufel croit que la formation, les programmes et les politiques doivent tenir compte de l’intersectionnalité et être mieux adaptés aux besoins de chaque groupe de la communauté LGBTQI2S+. Il ajoute qu’il faut améliorer la représentation de cette communauté dans les technos, accroître l’accès de ses membres à l’entrepreneuriat et favoriser l’émancipation de ceux-ci.
 

Le financement durable est essentiel

« Le sous-financement chronique et les réductions budgétaires sont parmi les plus grands défis au sein des organisations de la société civile », affirme Debbie Owusu-Akyeeah, directrice générale du Centre canadien de la diversité des genres et de la sexualité, un organisme LGBTQI2S+ d’Ottawa qui a pour mission d’outiller les communautés diversifiées sur les plans du genre et de la sexualité par l’éducation et la recherche et de défendre leurs intérêts.

« En nous appuyant sur des études d’initiative communautaire, nous arrivons à dresser un portrait juste des personnes les plus marginalisées et à ainsi obtenir des données qui nous permettront de mieux faire valoir leurs besoins. Cela dit, nos organisations doivent se montrer très créatives en matière de financement. Pour réaliser notre mandat, nous devons maximiser chaque dollar. »

Elle souligne que parfois, les programmes de financement et les politiques en matière d’égalité entre les genres excluent les organisations LGBT parce que leur mandat n’est pas axé sur les droits des femmes, ou parce que leur programmation destinée aux femmes n’est pas assez étoffée.

« La place de l’homophobie, de la biphobie et de la transphobie dans la violence sexiste est ainsi occultée », dit-elle. « En l’absence d’un financement de base durable, nous sommes incapables de réunir les données qui nous permettraient de défendre les intérêts des divers groupes que nous représentons et auxquels nous appartenons. Nous obligeons en quelque sorte des organisations LGBT surchargées, sous-financées et en sous-effectif à porter la cause à bout de bras. »
 

Les membres du corps professoral et les pairs doivent comprendre les obstacles

Le professeur Stephen Brown de l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa parle des avenues possibles pour favoriser la création d’environnements sûrs pour les membres de la communauté LGBTQI2S+ dans le contexte universitaire et de recherche. Il cite l’exemple du travail sur le terrain à l’étranger : « Pour les gens habitués à vivre ouvertement, c’est difficile de taire temporairement qui ils sont ».

Pour certaines personnes, voyager à l’étranger présente d’autres défis. « Obtenir un visa, faire écrire le bon nom sur son passeport ou avoir une photo qui correspond à son identité sexuelle… », ajoute M. Brown. « Les personnes transgenres ou de genre non conforme courent davantage de risques que les autres sur le plan de la sécurité. À mon avis, il est important que les membres du corps professoral, et quiconque travaille avec des membres de la communauté de recherche, soient conscients de cette réalité. »

M. Brown ajoute qu’il existe des moyens tout simples d’aider la population étudiante à se sentir en sécurité. Il suggère au corps professoral d’ajouter à la liste de lectures des cours au moins un article qui traite des questions LGBTQI2S+, surtout en sciences sociales ou en arts.

« Je suggère d’en discuter comme de tout autre article… normalement. », ajoute-t-il. « Préciser son pronom quand on se présente ou l’ajouter dans sa signature de courriel est un signal important. Apposer un collant ou mettre un drapeau sur sa porte en est un autre, tout comme ajouter une mention dans son plan de cours pour signifier qu’on est un allié ou une alliée et que son bureau est un lieu sûr. Et si quelqu’un fait une remarque homophobe ou transphobe, il ne faut pas faire comme si on ne l’avait pas entendue. Il faut intervenir. »
 

Apprendre à ne pas laisser la discrimination nous affecter

« Étudier et travailler sur des sujets méconnus ou faisant l’objet de préjugés nous expose à une variété de comportements allant de la colère au rejet, en passant par le mépris ou l’humiliation », dit Mme Bourque.

Or, plutôt que de penser sans arrêt aux commentaires offensants qu’elle a entendus pendant sa soutenance de thèse, aux demandes qui lui ont été faites de ne pas se pencher sur le lesbianisme, ou aux comportements inappropriés de collègues ou de membres de la collectivité étudiante, Mme Bourque a fait tomber les barrières et encourage les membres de la communauté LGBTQI2S+ à faire de même. Leur apport est trop important.

« Les comportements discriminatoires que nous vivons ne nous appartiennent pas », poursuit-elle. « Si j’avais eu davantage conscience de cela, j’aurais pu éviter leurs effets toxiques sur moi, comme l’hyper-vigilance épuisante que j’ai développée ou la phobie des entrevues que je traîne depuis ma soutenance. Et sans doute aurais-je été davantage consciente de mes propres manquements vis-à-vis des autres. »

Selon elle, pour encourager les comportements inclusifs, on peut déjà commencer par prêter attention aux mots qu’on utilise, et surtout à notre façon de nous adresser aux autres et d’entrer en relation avec eux. « Le dialogue semble plus approprié qu’une série des directives. Non seulement parce qu’elles laissent une marge à l’autre, mais aussi parce qu’elles ne l’enferment pas dans une position de subalterne. »
 

Apprendre à nos jeunes à être des alliés

Mme Owusu-Akyeeah estime qu’il n’est jamais trop tôt pour parler de diversité sexuelle et de genre avec les enfants. Comme le dit Diego Herrera, conseiller en équité, diversité et inclusion pour la recherche de l’Université d’Ottawa, certaines personnes prétendront que les enfants sont trop jeunes pour entendre parler d’homophobie, « mais le fait est qu’ils ne sont pas trop jeunes pour véhiculer l’homophobie ni pour en être victimes. »

Selon Mme Owusu-Akyeeah, tout est dans la manière d’aborder le sujet. « Des spécialistes de l’éducation peuvent nous guider sur la façon d’aborder un sujet comme dans différents groupes d’âge. Les jeunes ne devraient pas avoir à attendre jusqu’à l’université, si tant est qu’ils y aillent, pour entendre parler de diversité sexuelle et de genre, ou voir un plan de cours auquel ils s’identifient. »

Au terme de la discussion, les panélistes ont conclu que la collaboration entre les organisations de la société civile et le milieu universitaire était capitale. La relation symbiotique entre la collecte de données authentiques, l’activisme, la recherche et l’éducation est déterminante lorsque vient le temps de remédier aux lacunes et d’aider les membres de la communauté LGBTQI2S+ à s’épanouir.
 


Le 17 mai dernier, pour souligner la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, le Cabinet du vice-recteur à la recherche a présenté la table ronde « La diversité sexuelle et de genre dans les arts, les sciences et la technologie » dans le cadre de la série « Recherche inclusive, recherche exemplaire ».

Diego Herrera, conseiller en équité, diversité et inclusion pour la recherche de l’Université d’Ottawa, a animé la discussion en compagnie de Stacey Smith?, qui enseigne au Département de mathématiques et de statistique ainsi qu’à la Faculté de médecine.