Rétablir le dialogue aux Communes

Gazette
Droit
Le président de la Chambre des communes, Anthony Rota, assis dans son bureau.
Entretien avec Anthony Rota, président de la Chambre des communes et diplômé de l’Université d’Ottawa.
Anthony Rota en route pour la période des questions à la Chambre des communes.

Devant le clivage politique qui se creuse entre les provinces de l’Est et de l’Ouest et entre les régions et les grands centres urbains, les membres du nouveau gouvernement libéral minoritaire devront mettre de côté leurs différends et travailler main dans la main s’ils veulent avancer.

En tant que nouveau président de la Chambre des communes, le diplômé Anthony Rota aura fort à faire pour maintenir l’ordre et composer avec les intérêts contradictoires des partis politiques de cette 43e législature canadienne.

Celui qui a reçu son MBA de l’École de gestion Telfer en 1999 est aujourd’hui responsable de veiller au bon déroulement des séances à la Chambre; il lui incombe aussi de protéger les droits et privilèges des députés, y compris leur droit de s’exprimer librement et de prendre la parole pendant les débats.

Anthony Rota est le député libéral de Nipissing–Timiskaming, dans le Nord de l’Ontario, poste qu’il a occupé de façon quasi consécutive depuis plus d’une dizaine d’années. Au cours de la dernière session parlementaire, il a été nommé vice-président adjoint de la Chambre et des comités pléniers.

Voici les réflexions que nous a livrées Anthony Rota sur son nouveau rôle au Parlement.

Justin Trudeau et Andrew Scheer traînent le président de la Chambre, Anthony Rota, vers son siège en riant.

Quelles expériences vous ont préparé à ce nouveau poste?

J’ai été président et membre de nombreux conseils et comités au fil des ans, et ces expériences ont fait toute la différence dans mon parcours. Elles m’ont permis de comprendre non seulement comment fonctionne la procédure, mais aussi comment elle pourrait fonctionner. Certes, les règles entrent en ligne de compte, mais la façon dont on interagit avec les gens est tout aussi importante. C’est probablement là le plus grand défi – s’assurer de traiter tout le monde avec courtoisie. On doit veiller à ce que les gens adhèrent au protocole, mais nul besoin d’y aller d’une main de fer.

Je me dois aussi de mentionner que j’ai reçu un diagnostic de cancer lorsque j’avais 25 ans, tout juste après l’obtention de mon diplôme. J’étais pourtant prêt à me lancer – j’avais même un poste qui m’attendait! Un an plus tard, le cancer est revenu, et j’ai dû suivre des traitements de radiothérapie et de chimiothérapie.

Ce genre d’expérience nous fait voir la vie différemment et nous fait beaucoup plus apprécier les choses. Lorsqu’on traverse une expérience comme celle-là, on réalise qu’il y a plus dans la vie que la carrière et les résultats.

À quels défis particuliers devez-vous faire face en tant que président de la Chambre en situation de gouvernement minoritaire?

Le plus grand défi consiste à maintenir l’équilibre et à se montrer équitable, car la Chambre actuelle pourrait s’effondrer à tout moment. Il est très important que les décisions soient rendues de façon impartiale. Lorsqu’on discute avec les deux côtés de la Chambre, on doit veiller à bien comprendre ce qui s’y passe.

On a beau présider aux travaux de la Chambre, on se retrouve malgré tout au beau milieu de la mêlée. En fait, pendant la période de questions, quand l’effervescence est à son comble et que les passions se déchaînent, le président ne pourrait être davantage au cœur de l’action!

Chose certaine, il est fascinant de se trouver en position d’impartialité et d’essayer de veiller à ce que tout se déroule de manière raisonnable. Faire respecter le décorum à la Chambre des communes, ce n’est pas toujours tâche facile.

Avez-vous quelques astuces pour conserver votre impartialité et faire régner l’ordre chez les députés?

J’ai récemment reçu à souper tous les leaders de la Chambre – une simple rencontre amicale pour qu’ils puissent apprendre à mieux se connaître. J’essaie aussi de souper une fois par semaine avec des députés des différents partis. De cette façon, lorsqu’ils prennent la parole au Parlement, ils s’adressent à une personne qu’ils connaissent, et non à un ennemi avéré de l’autre côté de la Chambre. J’espère que cette pratique incitera les partis et les députés à dialoguer davantage.

Je rencontre les whips une fois par mois, ne serait-ce que pour voir si j’ai manqué quelque chose depuis mon fauteuil; j’apprivoise aussi leurs idées pour que nous puissions travailler ensemble et non l’un contre l’autre. Le président Peter Milliken faisait ce type de choses il y a plusieurs années. Je l’ai toujours admiré en sa qualité de président et dans la façon dont il procédait.

Le fait de parler quatre langues est aussi pour moi un atout de taille. Quand j’étais jeune, ma mère me parlait en italien, mon père en anglais; j’ai fait ma maternelle et mes études secondaires en français, puis quatre ans d’espagnol à l’adolescence.

Une partie du travail du président réside dans la diplomatie : il s’agit de rencontrer des gens. Les discussions prennent un réel envol quand on parle la langue de son interlocuteur. Il devient tellement plus simple de communiquer.

Quel effet ça fait de prendre part à une tradition de si longue date (et de se voir traîné jusqu’au fauteuil du président par Justin Trudeau et Andrew Scheer)?

C’est un honneur de présider la Chambre des communes. Je ne saurais mieux le décrire. C’est un poste que très peu ont la chance d’occuper, et je suis honoré d’y avoir été nommé.

Me faire traîner jusqu’au fauteuil par Andrew Scheer et Justin Trudeau avait ceci de particulier qu’avec mes six pieds de hauteur, je ne suis pas tout à fait petit. Justin Trudeau doit faire environ 6 pi 2, et Andrew, 6 pi 3 ou 6 pi 4. Quoi qu’il en soit, je me sentais minuscule à leurs côtés!

Si la tradition veut que le président rechigne à accéder au fauteuil, c’est qu’il devait jadis représenter la Chambre des communs devant le roi. Et si le roi n’aimait pas le message qui lui était porté, son mécontentement signalait non seulement la fin de la carrière du président – c’était aussi son arrêt de mort!

Même si l’on désire occuper la présidence, on fait donc mine de se débattre en route vers le fauteuil. Et je me suis dit « Tiens, pourquoi ne pas s’amuser un peu? ». Le premier ministre et le chef de l’opposition se sont volontiers prêtés au jeu. On peut voir qu’on rigolait tous un peu, que l’humour était au rendez-vous.

Quels conseils donneriez-vous aux autres diplômés qui aspirent à vous emboîter le pas?

Le président est notamment appelé à administrer l’enceinte parlementaire. Il est donc essentiel d’avoir une excellente compréhension de la gestion, comme la gestion de projets, ou des relations interpersonnelles. Cela fait partie de l’arsenal qu’on utilise au quotidien et qui nous permet réellement de mieux comprendre comment tout fonctionne ou devrait fonctionner.

J’ai fait mes débuts à la Chambre de commerce avant de passer à l’administration municipale, puis fédérale; c’est un cheminement que je recommande tout particulièrement aux personnes qui cherchent à faire carrière en politique.

Si la politique vous intéresse, je vous conseille de vous impliquer dans votre communauté – et ce, tôt dans votre carrière. Tentez de faire une différence dans le quotidien des gens, que ce soit à l’échelle fédérale ou municipale, ou encore au sein d’un conseil d’administration ou d’un conseil de ville.

Commencez tôt à faire bouger les choses, et montrez au monde ce dont vous êtes capable : c’est un bon point de départ. Vous serez surpris de constater à quel point on commence à gagner des appuis lorsque les gens reconnaissent notre potentiel. Les choses peuvent ensuite progresser rapidement. Ne soyez pas timides!