Santé mentale pour tous : un projet pancanadien pour mieux servir les jeunes des communautés noires

Gazette
Portrait de Jude Mary Cénat
Un projet mené au laboratoire de recherche Vulnérabilité, Trauma, Résilience et Culture (V-TRaC) vise à offrir des soins de santé mentale appropriés aux jeunes issus des communautés noires.
Portrait de Jude Mary Cénat

Les résultats de recherche sont clairs : la stigmatisation, le racisme et la discrimination représentent des facteurs de risques majeurs dans l’apparition des troubles dépressifs. « On constate une montée progressive des symptômes de dépression selon le niveau de discrimination que les gens vivent », explique Jude Mary Cénat, le directeur du laboratoire de recherche Vulnérabilité, Trauma, Résilience et Culture (V-TRaC) à l’Université d’Ottawa.

« En fait, le plus important facteur qui explique la dépression chez les personnes issues des communautés noires est la discrimination raciale quotidienne », ajoute le docteur en psychologie et professeur agrégé à l’Université d’Ottawa. Les travaux de recherches du professeur Cénat portent notamment sur les disparités de traitement fondées sur la race en matière de soins de santé mentale.

Son plus récent projet, Santé mentale des communautés noires dans la Région de la Capitale nationale vise à créer des ressources en santé mentale adaptées à la réalité des jeunes issus des communautés noires.

Avec l’appui financier de l’Agence de santé publique du Canada, le chercheur et son équipe élaborent des outils d’évaluation, de prévention et d’intervention répondant aux besoins réels des individus et des communautés. 

Les débuts du projet

Lorsqu’il s’est joint à la Faculté des sciences sociales en 2018, Jude Mary Cénat a commencé par prendre le pouls des ressources disponibles et des besoins en santé mentale des membres des communautés noires de la région d’Ottawa-Gatineau en rencontrant divers acteurs communautaires. La quasi-totalité d’entre eux soulève dès lors d’importantes lacunes. Même son de cloche du côté des hôpitaux : les ressources n’ont pas été créées de façon à répondre aux spécificités culturelles et sociales de l’ensemble de la clientèle.

« J’ai senti que c’était une nécessité, alors j’ai commencé à mettre en place des propositions pour voir avec les organismes communautaires ce qui pourrait être implanté. J’ai également discuté avec de nombreux intervenants en santé mentale pour identifier les besoins spécifiques à combler », raconte-t-il.

C’est ainsi qu’est né le projet, dont les retombées constituent une avancée positive pour aider les jeunes à s’épanouir.

Une mise en œuvre en trois temps

1. Évaluation : comprendre le rôle et l’impact des facteurs individuels, sociaux et culturels sur la santé mentale des jeunes issus des communautés noire

L’équipe du laboratoire V-TRaC a d’abord mené une première enquête pancanadienne auprès de jeunes de 15 à 24 ans. 

« C’est la première fois qu’une étude permettait de recueillir autant de données au sein des communautés noires au Canada », précise le chercheur, qui prépare une seconde collecte de données, encore plus vaste, pour l’automne. 

Le constat est clair : la discrimination raciale quotidienne augmente le taux de dépression chez les personnes issues des communautés noires. Qui plus est, les jeunes hésitent souvent à aller chercher de l’aide, craignant de faire face à des interventions teintées de racisme dans le réseau de la santé. 

2. Prévention : mobiliser et sensibiliser les communautés noires sur les enjeux de santé mentale

Le projet est ancré dans la communauté et passe par une meilleure compréhension et par la déstigmatisation des enjeux de santé mentale au sein même de la sphère sociale. 

Dans le cadre de la campagne Savoir pour prévenir, l’équipe de recherche va à la rencontre de leaders communautaires comme les pasteurs, prêtres et imams, les organismes féministes, les organisations sportives et les directions d’écoles. Elle leur propose des rencontres, des ateliers et des formations pour approfondir le sujet de la santé mentale et proposer des façons d’aborder la question du mieux-être psychologique avec les jeunes.

 « Ce qu’on souhaite accomplir, c’est de renforcer les communautés. On passe par celles et ceux qui ont un rôle à jouer dans la déstigmatisation des problèmes de santé mentale. Ce sont ces personnes qui sont près des jeunes, qui prodiguent des conseils et qui établissent des liens de confiance », ajoute le professeur Cénat. 

Le laboraboire V-TRaC a également mis sur pied la série de balados Chatting in the City (en anglais seulement) qui vise à libérer la parole sur la santé mentale auprès des familles, des leaders, des associations communautaires et des jeunes eux-mêmes pour soutenir la capacité de résilience de ceux et celles qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale. À chaque épisode, des invités discutent sans tabous de leurs expériences, de leur réalité, de même que de stratégies de mieux-être.

3. Outils d’intervention : Mettre en place des outils pour soutenir une approche culturellement adaptée et antiraciste

Le troisième objectif du projet consiste à développer des outils d’évaluation et d’intervention culturellement adaptés et basés sur des données probantes. 

À cet effet, l'équipe au laboratoire V-TRaC a mis sur pied une formation accréditée par la Société canadienne de psychologie qui est offerte aux professionnels en santé mentale (psychiatres, psychologues, infirmières, travailleurs sociaux, etc.) pour les guider dans une approche de soins antiraciste. À ce jour, plus de 1500 intervenantes et intervenants en psychoéducation, psychologie, psychiatrie, soins infirmiers et médecine ont suivi la formation, au Canada et aux États-Unis.

« À l’École de psychologie, nous encourageons notre population étudiante à suivre cette formation. D’ailleurs, le cours de psychologie multiculturelle est maintenant obligatoire dans le programme en psychologie clinique, ce qui nous donne l’occasion de parler spécifiquement de soins antiracistes », explique le chercheur, qui renchérit en mentionnant que l’objectif est notamment d’intéresser le plus grand nombre d’universités et d’organismes à la question pour que tous les programmes d’enseignement comportant une dimension de santé mentale tiennent éventuellement compte de la question raciale.

La formation destinée aux professionnels de même qu’un atelier destiné au grand public sont gratuitement accessibles en anglais et en français sur le site Web de Santé mentale pour tous