Les professeures Geneviève Brisson et Magali Forte (Université de Sherbrooke)
« De temps à autre, au milieu de l’épuisante masse de “données” ethnographiques... quelque chose retient notre attention et commence à prendre la forme d’un exemple. Il est difficile d’expliquer comment ça arrive... Mais une façon de le faire serait de parler d’une espèce de lueur : un détail – le fragment d’une note de terrain ou l’image d’une vidéo – se met à scintiller et attire notre attention. » (Maggie MacLure, 2010, p. 282 dans la version originale)

C’est avec cette citation que les professeures Geneviève Brisson et Magali Forte (Université de Sherbrooke) ont abordé le concept de données qui brillent (glowing data) lors d’une conférence du colloque du CCERBAL 2025 en mai dernier.

L’équipe de l’ILOB s’est entretenue avec elles afin d’en apprendre plus sur ce sujet fort intrigant et inspirant.

Qu’est-ce que le concept de « glowing data »?

Le concept de « glowing data », proposé en 2010 par Maggie MacLure (professeure émérite à l’Université Manchester Metropolitan, Royaume-Uni), décrit des fragments de données, par exemple, une note de terrain ou encore un enregistrement vidéo, qui attirent l’attention et semblent se démarquer des autres.

Certaines chercheuses ont choisi de traduire ce concept par « données qui brillent » (Brisson et Forte, 2024; Forte, 2022) ou par « moments qui brillent » (Brisson et coll., 2021) dans leurs travaux publiés en français. Selon MacLure (2013), ces données semblent choisir les personnes chercheuses et les inviter à une réflexion et à une exploration plus approfondies, sans qu’il soit toujours possible d’expliquer pourquoi.

Ces données qui brillent ne reçoivent pas nécessairement l’attention qu’elles méritent parce que les procédures et protocoles de recherche et d’éthique conventionnels imposent une définition restreinte et restrictive des données (Forte et coll., accepté).

Sa signification pour la communauté de recherche

Le concept de données qui brillent invite la communauté scientifique à porter attention à ce qui échappe aux méthodes d’analyse traditionnelles et aux cadres méthodologiques normatifs de la recherche. Ces données ne sont pas de simples curiosités : elles agissent comme des signaux, révélant des zones d’affect, de surprise ou de rupture qui peuvent ouvrir de nouvelles pistes de réflexion. 

Professeure Geneviève Brisson

« Reconnaître et valoriser ces fragments ou ces moments, c’est accepter que la recherche ne se limite pas à l’application de protocoles rigides, mais implique aussi une dimension sensible, intuitive et parfois imprévisible. »

La professeure Geneviève Brisson

Pour la communauté de recherche, cela implique donc d’élargir la définition de ce qu’est une donnée et de reconnaître l’importance du ressenti, de l’émergence et de l’affect dans la production de connaissances.

Des moments de révélation

Les données qui brillent peuvent se manifester à n’importe quelle étape d’un projet de recherche. Certaines ont la capacité de briller sur le terrain, alors que d’autres le font a posteriori, lors du visionnement d’un enregistrement audio ou vidéo, par exemple (Brisson et Forte, 2024).

Les manifestations peuvent ainsi être multiples et variées, tant par leur nature (textes écrits, enregistrements audio ou vidéo, photos, etc.) que par leur degré d’intensité. Elles peuvent être perçues différemment d’une personne à une autre.

Dans un questionnaire de recherche de l’ILOB, des données brillantes sont apparues dans les réponses des étudiantes et étudiants à la question sur la nature de leur engagement avec l’immersion linguistique sur le campus. Contrairement aux résultats qui ressortent habituellement de ce type de sondage et qui portent sur des données d’impact ou les bienfaits cognitifs du bilinguisme dans le cadre d’une approche immersive, la citation suivante a « brillé » par sa façon d’exprimer les effets socioaffectifs de l’apprentissage d’une langue par l’immersion.

« Les interactions avec mes pairs et les membres du corps enseignant [dans le cours d’accompagnement] m’ont permis de gagner en confiance, de me motiver et de renforcer mon sentiment d’appartenance, en plus d’enrichir mon expérience d’apprentissage par des échanges culturels et du soutien. »

Ces données ont brillé et interpellé les personnes chercheuses, car la prise de perspective socioémotionnelle au sujet de l’expérience d’immersion était inattendue. Tout particulièrement puisque les recherches dans ce domaine se concentrent surtout sur l'anxiété et l'insécurité linguistiques des personnes apprenantes, ou bien seulement sur les avantages cognitifs et pédagogiques.

Données brillantes
Une représentation visuelle de données brillantes

Une approche de recherche plus dynamique et fluide

Le concept de données qui brillent n’offre pas de méthode de collecte de données préétablie, mais suggère plutôt d’adopter une posture de recherche plus dynamique et fluide. Il est souvent mobilisé dans les travaux de recherche à l’approche dite « post-qualitative », beaucoup plus courants en anglais qu’en français.

Professeure Magali Forte

« Ainsi, le concept de données qui brillent encourage à considérer la recherche comme un processus vivant, où l’attention portée à l’inattendu peut enrichir la compréhension et renouveler les pratiques analytiques. »

La professeure Magali Forte