Question 1 : Quelle était votre vision lorsque vous avez pris vos fonctions de directeur?
Je ne suis pas certain d’avoir eu une vision pleinement définie au départ. Ce que je peux dire, c’est que cette opportunité m’intéressait beaucoup, car je connaissais le Centre depuis ses débuts. J’étais étudiant à l’Université du Manitoba en 1981 lorsque j’ai assisté à une réunion à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, dans le tout récent Pavillon Fauteux. À l’époque, le Centre participait à l’organisation d’événements liés à ce qui allait devenir la Charte canadienne des droits et libertés et au rapatriement de la Constitution. En tant qu’étudiant, j’ai trouvé cela fascinant.
J’avais entendu parler des réunions qui se tenaient ici, ainsi que d’une importante conférence organisée au Château Frontenac à Québec, qui réunissait des experts internationaux pour discuter de l’intégration des droits humains internationaux dans la future Constitution canadienne. Cette approche axée sur les objectifs m’a profondément interpellé. Je m’intéressais aux droits humains internationaux, à la paix et à la stabilité, et j’ai donc ressenti très tôt un lien avec cet endroit.
Par la suite, j’ai passé près de 30 ans à l’étranger, d’abord pour des études supérieures en droit international, puis pour une carrière dans sa pratique à l’échelle internationale. Lorsque quelqu’un m’a parlé de cette opportunité d’emploi au CREDP, j’y ai vu une reconnexion significative. J’avais été directeur d’un centre important au Royaume-Uni, et l’idée de revenir au Canada dans un rôle similaire me semblait être une suite poétique de mon parcours.
J’ai également été attiré par la ville d’Ottawa elle-même — son bilinguisme, sa culture civique et la diversité des sujets abordés. En examinant le parcours unique du Centre et son engagement fort à faire le lien entre le monde universitaire et la pratique, j’ai trouvé cela très convaincant. Ma vision, alors, était de me demander : comment pourrais-je contribuer à cette mission importante?
Lors du processus de sélection, j’ai donné une conférence et on m’a interrogé sur les droits des peuples autochtones. J’ai remarqué que le Centre n’était pas très actif dans ce domaine à l’époque, ce qui m’a semblé étonnant. J’ai pensé que nous devrions accorder davantage d’attention à cette question. Fait intéressant, les membres du comité d’entrevue étaient également intéressés par la manière de rendre le Centre plus axé sur la pratique, ce qui me convenait parfaitement.
Effectivement, après de nombreuses années de travail auprès d’organisations intergouvernementales, j’avais fondé une clinique interdisciplinaire des droits de la personne à l’Université d’Essex, et mon parcours était généralement plus orienté vers la pratique que vers la recherche académique.
Ma vision était donc pratique : Créer des structures favorisant un engagement concret avec le monde réel, élargir notre portée et tirer parti de notre emplacement à Ottawa — notamment auprès de la communauté diplomatique. L’une des premières choses que nous avons faites a été d’organiser une conférence sur le système interaméricain des droits de la personne, qui n’avait jamais impliqué la communauté diplomatique auparavant, ce qui semblait être une occasion manquée.
Je voulais revitaliser et stimuler de nouvelles collaborations, et élargir le dialogue sur les droits de la personne — tant au Canada qu’à l’international. J’étais également très clair sur le fait que mes propres domaines d’expertise, notamment la médiation des conflits et la protection des minorités, ne deviendraient pas simplement les priorités du Centre. Le Centre devait plutôt être un lieu de communauté et de bénéfices mutuels, apportant une valeur ajoutée à chaque membre et partenaire, dans toute la diversité des sujets abordés.
Nous avons consacré la première année à l’élaboration d’un plan stratégique. Au départ, je pensais que nous devrions peut-être restreindre notre champ d’action, car de nombreux centres des droits de la personne dans le monde se spécialisent désormais dans des domaines comme la santé, les migrations ou des contextes géographiques spécifiques. J’ai envisagé de donner la priorité aux Amériques et/ou aux droits des peuples autochtones, surtout à un moment où les travaux de la Commission de vérité et réconciliation touchaient à leur fin et qu’un rapport d’envergure nationale allait être publié.
Mais nos consultations ont clairement montré que la force du Centre réside dans sa diversité et sa richesse. La vision initiale du Centre — établir des ponts entre les disciplines et relier la recherche à la pratique — demeure pertinente. Mon rôle était de trouver des moyens d’ajouter de la valeur à l’excellent travail déjà accompli, d’en étendre la portée et l’impact, tout en rehaussant le Centre dans son ensemble.
Question 2 : Quelles sont les réalisations dont vous êtes le plus satisfait?
C’est une question difficile à répondre. Tout d’abord, je dirais que nous avons atteint bon nombre des objectifs que nous nous étions fixés, et je pense que cela a été reconnu. Cela a été particulièrement significatif étant donné que nous étions une petite équipe qui démarrait ensemble. Je suis particulièrement reconnaissant à la Faculté de droit de m’avoir permis de participer au processus de sélection de la directrice associée, Viviana Fernandez, avant même d’entrer officiellement en fonction. Cette approche réfléchie et éclairée nous a permis de démarrer sur de bonnes bases, avec des compétences complémentaires au niveau de la direction et une équipe de base soudée.
Peu après, nous avons procédé à quelques changements de personnel et recruté de nouvelles personnes — dont Caroline Faucher qui est toujours avec nous aujourd’hui. À la fin de notre deuxième année, nous avions constitué une nouvelle équipe, mis de l’ordre dans nos affaires, obtenu une nouvelle dotation et commencé à concrétiser notre vision grâce à un plan stratégique approuvé. Nous étions sur la bonne voie.
Au cours de mes deux mandats complets — soit plus d’une décennie — je pense que nous avons accompli beaucoup de choses. Sur le plan quantitatif, nous avons organisé environ 650 événements, ce qui est remarquable. Mais ce qui est encore plus satisfaisant, c’est que nous l’avons fait en collaboration avec près de 100 partenaires différents. Rien que ces dernières années, nous avons recensé plus de 50 partenaires par an. Il s’agit d’un large éventail d’organisations, et par le biais de notre clinique, nous avons soutenu divers rapporteurs spéciaux des Nations Unies et accueilli de nombreuses personnalités importantes, notamment des hauts fonctionnaires de l’ONU.
Mais au-delà des chiffres et des relations prestigieuses, je pense que la réalisation la plus significative est la manière dont nous avons rempli la mission fondamentale du Centre : être un espace et un instrument pour l’étude, la promotion et l’éducation générale des droits de la personne. Et nous l’avons fait avec des portes, des esprits et des bras ouverts, dans un esprit sincère de collaboration honnête.
Nous avons soutenu d’innombrables étudiants aux cycles supérieurs, et je crois que nous avons contribué à accroître la reconnaissance du Centre tant à l’échelle nationale qu’internationale. Le Centre est devenu une adresse connue et respectée au Canada — une institution vers laquelle on se tourne pour obtenir du soutien et établir des collaborations. Au fil des ans, nous avons accueilli de nombreux chercheurs invités, boursiers postdoctoraux, professeurs Fulbright, doctorants, ainsi que des centaines d’étudiants de premier cycle qui ont bénéficié de nos cours et programmes variés. Nous nous sommes positionnés comme un acteur engagé au sein d’un mouvement mondial, apportant une contribution significative au projet plus vaste des droits de la personne à Ottawa, au Canada et à l’international.
Je ressens donc une profonde satisfaction d’avoir largement atteint — et de continuer à atteindre — les objectifs que nous nous étions fixés. Pour moi, c’est une grande réussite.
Question 3 : Pouvez-vous citer les cinq activités/projets/initiatives qui vous semblent les plus marquants?
Il est difficile de faire un choix sans risquer d’oublier quelque chose d’important, mais je vais tenter de mettre en lumière cinq initiatives qui me semblent particulièrement significatives.
- Favoriser la collégialité et l’esprit communautaire parmi les étudiants aux cycles supérieurs
Au-delà du volume d’activités que nous avons menées, je suis particulièrement fier de l’esprit dans lequel elles ont été réalisées. L’une de nos initiatives clés a été de créer et de cultiver intentionnellement un sentiment de communauté et de collégialité, notamment parmi les étudiants aux cycles supérieurs et les jeunes chercheurs. Le soutien apporté aux coordinateurs de projet, aux boursiers postdoctoraux et aux étudiants diplômés a été central, et bon nombre d’entre eux occupent aujourd’hui des postes importants. Pour moi, cela témoigne de l’impact durable que nous avons eu. - La clinique sur les droits de la personne
Cette initiative interdisciplinaire majeure a rassemblé des étudiants de diverses facultés et soutenu des coordinateurs de projet, principalement des étudiants aux cycles supérieurs. Bien qu’elle n’ait jamais bénéficié d’un financement indépendant — ce qui représentait un défi — nous avons su mobiliser les ressources nécessaires pour la faire vivre. La clinique a appuyé un large éventail de projets et d’acteurs, et a eu un impact sur des centaines d’étudiants. Je considère cette réalisation comme particulièrement significative. Je tiens à remercier tout spécialement nos directeurs de clinique, Salvador Herencia et Slava Balan, pour leur leadership remarquable. - La relance et la publication de l’Annuaire canadien des droits de la personne
Je suis heureux que nous ayons pu relancer cette publication et en produire trois éditions, avec deux autres en préparation. Dans un pays où les revues consacrées aux droits de la personne sont étonnamment rares — à l’exception du Canadian Journal of Human Rights publié par l’Université du Manitoba — cette contribution est précieuse. Nous y avons abordé des enjeux contemporains et mis en lumière des défenseurs canadiens des droits de la personne dont les parcours sont souvent méconnus. Même s’il reste du travail à faire, je considère cette relance comme une réalisation importante. - École d’été sur les arts + les droits de la personne : L’Art & la culture autochtones
Cette école d’été a été une véritable innovation. Elle a nécessité beaucoup de réflexion et d’efforts, et sa mise en œuvre a été marquée par une forte participation de contributeurs autochtones. Elle a été lancée avant même que la Commission de vérité et réconciliation ne publie ses appels à l’action, ce qui montre que nous étions en avance sur notre temps. Encore aujourd’hui, des personnes nous écrivent pour nous dire à quel point cette initiative les a marquées. C’est une expérience que je n’oublierai jamais et que j’aurais aimé pouvoir prolonger. - Programme Arts + Droits de la personne
Étroitement lié à l’école d’été, le programme plus large sur les Arts + Droits de la personne a été une autre initiative importante. Là encore, nous l’avons maintenu avec très peu de ressources, en comptant principalement sur la bonne volonté et l’intérêt sincère de nos collaborateurs. Ces dernières années, il a donné lieu à des rencontres internationales et a jeté les bases d’un développement futur. Il a démontré tout ce qu’il est possible d’accomplir lorsqu’il y a un engagement authentique et un objectif commun.
Ces initiatives ont été réalisées avec les moyens dont nous disposions, souvent sans financement dédié, ce qui rend leur succès d’autant plus remarquable. Nous avons su tirer parti de notre espace physique et du soutien institutionnel, et j’en suis profondément reconnaissant. Mais le mérite revient aux nombreux membres et partenaires qui ont généreusement partagé leurs idées et leur énergie.
Question 4 : Y a-t-il des moments mémorables de collaboration avec les professeurs, le personnel, les étudiants et les partenaires qui vous ont marqués?
L’une des choses auxquelles je repense souvent est la manière dont les notions de collégialité et de communauté se sont exprimées de façon très concrète. J’ai passé beaucoup de temps au cinquième étage du Pavillon Fauteux; lorsque je n’étais pas en déplacement, j’étais presque toujours là, souvent jusque tard dans la nuit. Avant la pandémie de COVID-19, l’espace était assez animé, en particulier par des doctorants qui travaillaient généralement tard.
Ce qui m’a frappé, c’est que ces étudiants venaient de pays et d’horizons très différents, et travaillaient sur des sujets complètement distincts. Pourtant, ils s’installaient côte à côte dans leurs bureaux, prenaient leurs pauses ensemble et engageaient des conversations profondes. Je n’oublierai jamais certains de ces moments. Il m’arrivait de sortir de mon bureau pour me joindre à eux, et nous finissions par discuter pendant une heure ou deux de toutes sortes de sujets — de fond, philosophiques, et parfois personnels.
Ces échanges n’étaient pas seulement enrichissants sur le plan intellectuel; ils apportaient aussi un soutien personnel considérable. Le travail de doctorat peut être incroyablement isolant. On voit rarement son directeur de thèse, et les interactions avec le comité sont limitées. Avoir des pairs avec qui échanger des idées, dire « Je travaille sur ceci, qu’en penses-tu ? », confronter des points de vue et engager un véritable dialogue, c’était inestimable. J’ai été témoin de moments de prise de conscience profonde, de renforcement de la confiance en soi et de percées intellectuelles. Ce furent des instants puissants qui ont transformé le travail — et parfois même la vie — de certaines personnes.
Cet esprit de collaboration s’est également manifesté dans d’autres contextes. Pour notre conférence anniversaire, nous avons organisé un séminaire spécial mettant en valeur des articles rédigés par des doctorants et postdoctorants, anciens et actuels. Cela a donné lieu à un numéro spécial du Canadian Journal of Human Rights, tout juste publié. Il comprend sept excellentes contributions — dont certaines, je crois, auront un impact réel sur les enjeux contemporains.
Pour moi, les moments les plus mémorables sont donc ces liens — entre les personnes, les idées et les disciplines — qui n’étaient pas seulement ambitieux, mais bien réels et tangibles. Nous avons créé les conditions pour qu’ils émergent, et ils ont émergé. J’ai eu le privilège d’en être témoin, et c’est quelque chose que je garderai toujours en mémoire.
Question 5 : Quels ont été les défis les plus importants auxquels vous avez été confronté en tant que directeur ?
L’un des premiers défis pour moi a été tout simplement de revenir au Canada. C’était mon premier poste dans le pays depuis près de 30 ans — j’étais parti en 1985 — et mon retour après trois décennies signifiait que beaucoup de choses avaient changé. J’ai dû établir des liens à travers le Canada, car mon réseau professionnel était essentiellement international.
Un autre défi a été de réintroduire et de réaffirmer la présence du Centre, tant sur le campus qu’à l’échelle nationale. Même si les droits de la personne sont au cœur de la mission de l’Université, j’ai senti qu’il était nécessaire de rehausser le profil du Centre et de rappeler aux gens sa raison d’être et sa valeur.
Sur le plan institutionnel, j’étais également nouveau à l’Université, et je ne connaissais pas grand monde au départ. Comme toute personne qui arrive dans un nouvel environnement, j’ai dû bâtir des relations à partir de zéro, ce qui a demandé du temps et des efforts.
Cela dit, je n’ai jamais perçu ces défis comme insurmontables. J’ai toujours été chaleureusement accueilli et soutenu. Il s’agissait plutôt de combler certains écarts, de mettre à jour certaines pratiques et d’orienter le Centre vers les besoins et les opportunités actuels. À bien des égards, il s’agissait davantage de moderniser l’approche du Centre et de renforcer sa visibilité que de surmonter des obstacles majeurs.
Question 6 : Selon vous, quel rôle joue aujourd'hui le Centre dans le paysage universitaire ou des droits humains au sens large?
Je peux dire avec une certaine assurance — sans vouloir paraître prétentieux — que nous sommes devenus un chef de file dans le contexte canadien, en particulier parmi les institutions universitaires œuvrant dans le domaine des droits de la personne. Le Centre est désormais une référence, non seulement dans le milieu académique, mais aussi auprès des médias, du gouvernement, du Parlement et même du corps diplomatique à Ottawa.
Notre proximité avec ces institutions est certainement un avantage, mais elle ne suffit pas en soi : on peut être tout près et pourtant être ignoré. Ce n’est pas notre cas. Nous sommes présents, actifs et engagés dans le paysage. Nous ne nous contentons pas d’observer — nous participons.
Nous n’avons pas hésité à prendre des positions publiques, même lorsqu’elles pouvaient être perçues comme controversées. Cela fait partie intégrante du domaine des droits de la personne : c’est un champ souvent politique, parfois contesté. Mais nous sommes restés fermement engagés envers les droits humains. C’est au cœur de notre mission et de notre mandat : promouvoir, étudier et enseigner les droits de la personne.
Grâce à la visibilité que nous avons acquise, nous avons pu remplir cette mission plus efficacement. Et cette visibilité, à son tour, ouvre la voie à de nouvelles collaborations, à une influence accrue et à un impact élargi. Je crois donc que nous jouons un rôle significatif et actif dans le paysage universitaire et des droits humains, tant au Canada qu’à l’international, grâce aux associations que nous avons rejointes et aux initiatives que nous avons lancées.
Question 7 : Quels sont vos espoirs pour l’avenir du CREDP?
À la fin de mon mandat, je suis convaincu que le Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne repose sur des bases solides. J’espère — et je m’attends — à ce qu’il continue de croître et de se renforcer. Et je crois sincèrement que ce sera le cas.
Ce moment coïncide avec plusieurs développements enthousiasmants : l’arrivée d’une nouvelle directrice hautement compétente et qui connaît bien le Centre; une nouvelle Chaire Gordon F. Henderson sur les droits de la personne; une nouvelle candidate postdoctorale Gordon F. Henderson; et une Chaire de recherche Fulbright Canada. Il règne un véritable esprit d’enthousiasme, avec des idées nouvelles et des projets prometteurs.
Tout cela repose sur une fondation solide et est soutenu par une équipe exceptionnelle. Mon espoir est donc simple mais profond : que le Centre poursuive non seulement son travail, mais qu’il prospère — en élargissant son impact, en approfondissant ses collaborations et en continuant à jouer un rôle de premier plan dans le domaine des droits de la personne.
Question 8 : Comment cette expérience vous a-t-elle façonné sur le plan professionnel ou personnel?
Sur le plan personnel, cette expérience m’a apporté une stabilité qui était très importante pour ma famille à l’époque. Nous vivons à proximité de l’Université, dans une ville sûre et accueillante, ce qui a permis à ma femme et à mes enfants de se sentir bien installés. Mes enfants ont étudié à l’Université d’Ottawa et y ont obtenu leur diplôme. Cette proximité, ce sentiment de sécurité et la satisfaction à la maison m’ont permis de m’investir pleinement dans mon travail.
Sur le plan professionnel, les retombées ont été nombreuses, mais l’un des effets les plus significatifs est que cette expérience a renforcé ma conviction quant à l’importance des droits de la personne. Elle m’a confirmé — non seulement en théorie, mais aussi dans la pratique — que les droits humains font réellement une différence dans la vie des gens, dans nos communautés, dans notre pays et dans le monde.
Elle a également renforcé ma foi dans le pouvoir de la collaboration. Dans le milieu universitaire, on parle souvent de collégialité, mais plus largement, l’idée de travailler ensemble — d’aller vers les autres, de les inviter à se joindre à nous, de bâtir des partenariats — était au cœur de tout ce que nous faisions. Nous agissions rarement seuls. C’était généralement nous qui prenions l’initiative de la collaboration, en demandant aux autres : « Voulez-vous vous joindre à nous ? » Cet esprit de coopération, d’effort commun, était essentiel.
Cette expérience m’a aussi rappelé qu’il ne faut pas nécessairement beaucoup de moyens pour faire une différence. Oui, il faut des ressources de base — des postes, un espace physique, un budget modeste — mais au-delà de cela, ce qui compte vraiment, c’est la bonne volonté, les bonnes idées et la sincérité. Lorsque ces éléments sont réunis, la collaboration peut véritablement conduire au changement.
Sur le plan professionnel, j’en ressors avec une expérience encore plus riche, qui confirme ma foi dans la valeur du travail en faveur des droits humains et dans la nécessité de le faire progresser ensemble.
Question 9 : Qu'est-ce qui vous manquera le plus?
Eh bien, je ne quitte pas la ville! Je resterai un membre actif du Centre et je suis honoré de poursuivre mon rôle de professeur à l’Université, au sein de la Faculté de droit. Cela dit, je dois avouer que je ressens déjà une certaine libération par rapport aux aspects plus administratifs et routiniers de mon rôle. Ces tâches sont bien sûr nécessaires dans toute institution, et je pense que nous avons accompli un excellent travail pour amener nos systèmes — nos comptes, nos méthodes, nos rapports — à un niveau élevé. En fait, je dirais même que nous sommes devenus un modèle à certains égards. Mais cela a demandé beaucoup d’efforts, et cette partie ne me manquera pas nécessairement.
Ce qui me manquera, c’est la collaboration très étroite avec l’équipe. Même si je serai juste au bout du couloir, il y a quelque chose de spécial dans l’immédiateté et le rythme du travail quotidien en proximité. J’ai travaillé dans d’autres environnements professionnels où le travail d’équipe était difficile — où les gens collaboraient peu ou étaient en désaccord. Ici, nous avions quelque chose de rare : une équipe qui travaillait ensemble de manière harmonieuse, qui se comprenait et sur laquelle on pouvait compter. C’était un plaisir de venir travailler.
C’est un peu comme un bon mariage : on n’a pas besoin d’y réfléchir constamment. On sait simplement qu’on peut compter les uns sur les autres, et que si un problème survient, on le résoudra ensemble. Peu de choses nous déstabilisaient. Ce niveau de confiance et de cohésion est précieux, et cette dynamique quotidienne me manquera. Mais encore une fois, je resterai tout près, et je me réjouis de continuer à contribuer, autrement.
Question 10 : Avez-vous des anecdotes qui, selon vous, illustrent bien l'esprit de ces dix dernières années?
C’est une question difficile — non pas parce qu’il n’y en a pas, mais parce qu’il y en a tellement. Je fais souvent référence à des anecdotes, qui me reviennent à l’esprit dans différents contextes.
Tout récemment, alors que je me rendais à une réunion au ministère des Affaires mondiales Canada, quelqu’un m’a interpellé à l’entrée : « Professeur Packer? » Je ne l’ai pas reconnu immédiatement, mais j’ai ensuite réalisé qu’il avait été étudiant dans notre école d’été sur le droit international humanitaire. Il m’a confié à quel point cette expérience avait été marquante pour lui. Ce sont des moments comme celui-là qui me rappellent pourquoi nous effectuons ce travail : voir d’anciens étudiants occuper aujourd’hui des rôles significatifs, contribuer au service public ou à des organisations internationales, c’est profondément gratifiant.
Des étudiants issus de notre clinique et de nos cours d’été ont ensuite travaillé au ministère de la Justice, aux Nations Unies, à l’Organisation des États américains et dans d’autres institutions majeures. Ce ne sont pas seulement des réussites individuelles, mais aussi la preuve que les connaissances et les compétences que nous avons contribué à développer sont mises à profit dans le monde réel.
Un souvenir particulièrement marquant fut la participation de la cinéaste Alanis Obomsawin à notre Cours d’été sur les arts et la culture autochtones. Elle avait plus de 80 ans à l’époque, mais elle était pleinement engagée — éloquente, généreuse et profondément émouvante. Les films qu’elle a présentés étaient puissants, mais c’est son interaction avec les étudiants et les participants qui a laissé une impression durable. La salle était captivée. Ce n’était pas simplement une projection, c’était un moment de partage et de résonance émotionnelle palpable. On pouvait le sentir.
Une autre soirée inoubliable a eu lieu récemment avec Albie Sachs, juriste sud-africain et ancien juge de la Cour constitutionnelle nommé par Nelson Mandela. Sa réponse à une question très personnelle sur son éducation et sa pertinence face aux défis contemporains était empreinte d’humilité et de dignité. Il n’a pas hésité à répondre. J’aurais aimé que davantage de personnes soient présentes pour en être témoins. C’était l’un de ces rares instants où l’histoire, l’humanité et l’espoir convergent dans une seule conversation.
Bien sûr, nous avons accueilli des personnalités de renom — le procureur de la Cour pénale internationale, des hauts responsables des droits humains, des ministres actuels et anciens — mais ce dont je me souviens le plus, ce sont les moments plus calmes et intimes. Par exemple, lorsque le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a accepté, avec une grande simplicité, de rencontrer des étudiants en marge d’une réunion. L’échange qui s’en est suivi était modeste, mais profondément inspirant. Ce sont ces instants-là qui restent gravés dans la mémoire.
Enfin, je tiens à souligner que tout cela repose sur un héritage. À l’approche du 45e anniversaire du Centre, je suis profondément conscient de la clairvoyance et du dévouement de celles et ceux qui m’ont précédé — ceux qui ont créé les conditions nécessaires à l’épanouissement de ce travail. Mon rôle était d’honorer cet héritage et de contribuer à l’évolution continue du Centre. J’espère y être parvenu.
En conclusion
Pour conclure, j’ai remarqué que les personnes attirées par le travail dans le domaine des droits humains souhaitent généralement ardemment faire la différence — changer ce qu’elles estiment devoir être changé, ou du moins avoir un impact. Elles sont donc souvent animées par une passion sincère.
Nous devons certes réfléchir avant d'agir et nos politiques, nos lois et nos pratiques doivent donc s'appuyer sur des preuves, des évaluations objectives et des théories solides. Mais, en fin de compte, la question qui nous habite est : « Et alors ? » Je sais que la recherche universitaire doit être menée avec rigueur et impartialité, et parfois en se détachant des émotions subjectives. Cependant, avoir un impact — et mieux encore, provoquer un changement positif — n’est jamais anodin. Ce n’est pas indifférent pour les victimes de violations des droits humains, ni pour les bénéficiaires potentiels dont la vie pourrait être profondément améliorée.
Selon mon expérience, les chances de réussite sont plus grandes lorsque ceux qui s’y consacrent sont, au moins en partie, animés par la passion : une soif de justice, un profond désir de faire le bien, le besoin d’une vie meilleure. J’ai eu le privilège de connaître et de travailler avec de nombreuses personnes de cette trempe, et d’être témoin de leurs réalisations.
C’est donc un privilège particulier — et une responsabilité importante — d’avoir occupé le poste de directeur du plus ancien centre sur les droits de la personne au Canada, et d’aider mes collègues, mes étudiants et nos partenaires à faire avancer, ne serait-ce qu’un peu, leurs recherches, leurs projets et leurs initiatives.