Par Leah Geller
Pendant plus de 10 ans, la professeure de droit Nathalie Chalifour a analysé la constitutionnalité de la législation fédérale sur le climat. En février dernier, son expertise a été mise à l’épreuve.
La Saskatchewan conteste la constitutionnalité de la nouvelle loi fédérale sur la tarification du carbone à l’échelle nationale, en vigueur le 1er avril 2019 dans les provinces qui n’ont pas de plan pour réduire les émissions de carbone. La Commission de l’écofiscalité, en tant qu’intervenant en appui à la taxe fédérale sur le carbone, a invité la professeure Chalifour et son collègue Stewart Elgie à la représenter devant la Cour d’appel de la Saskatchewan.
« Ce sera une décision d’une grande importance, avec des conséquences énormes sur le plan juridique et politique », a affirmé la professeure, qui est codirectrice du Centre du droit de l’environnement et de la durabilité mondiale. « Si la constitutionnalité de la taxe fédérale sur le carbone est invalidée et qu’on ne peut pas établir une politique nationale sur le climat, ce seront les générations à venir qui en subiront l’impact. »
Depuis son arrivée à l’Université en 2003, Nathalie Chalifour a surtout travaillé en salle de classe et en coulisse. Ce type de cause aura été une première pour elle. En partenariat avec son collègue Stewart Elgie, elle a rédigé l’argumentation, aidée de deux étudiants en droit, Mari Galloway et Taylor Wormington, à la recherche.
Deux autres professeurs de l’Université d’Ottawa ont pris part à l’audience, en appui à la position fédérale. Le professeur Amir Attaran a représenté la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca, et Josh Ginsberg, directeur de la clinique Écojustice de l’Université d’Ottawa, a représenté la Fondation David Suzuki. Ils ont reçu l’aide de Danielle Gallant, diplômée récente en droit (aujourd’hui avocate à Écojustice), et Anna McIntosh, stagiaire à Écojustice.
« En plus des quatre professeurs participants, l’Université d’Ottawa était représentée par trois étudiants et une diplômée, ainsi que plusieurs autres étudiants ayant participé à la tenue d’une audience simulée à la clinique Écojustice », a ajouté la professeure Chalifour.
Une question de compétence
Le premier jour du procès tenu les 13 et 14 février, la Saskatchewan et ses intervenants ont fait valoir que la loi fédérale empièterait sur la compétence provinciale. Le lendemain, les professeurs Chalifour et Elgie ont soutenu que la loi n’empêcherait pas la province de prendre ses propres mesures contre les émissions de gaz à effet de serre, et que les deux paliers de gouvernement ont beaucoup de marge de manœuvre pour combattre la crise climatique.
Ils ont souligné la coexistence des compétences fédérales et provinciales dans d’autres domaines de l’environnement, dont la gestion de l’eau et la pollution de l’air. Et, plus tôt dans la journée, le gouvernement fédéral avait avancé que le changement climatique est une préoccupation nationale, justifiant ainsi une loi fédérale.
L’ultime décision de la cour pourrait prendre des mois. Entretemps, Nathalie Chalifour se prépare à représenter les Chefs et conseils unis de Mnidoo Mnising, un groupe de six Premières Nations de l’île Manitoulin, dans une contestation similaire, cette fois soumise par l’Ontario. Un de ses anciens étudiants, Tyler Paquette, est stagiaire chez Westaway Law, le cabinet chargé du dossier, et il a aidé à rédiger l’argumentation.
Dans l’ensemble de sa recherche sur les politiques et le droit du climat, elle s’est beaucoup préoccupée de la question des juridictions fédérales et provinciales.
« Il est clair que la politique canadienne sur le climat a été grandement influencée par la division des pouvoirs entre le fédéral et les provinces, et que l’absence de progrès repose en partie sur cette dynamique », ajoute-t-elle. « Pour gagner le combat contre le changement climatique, il faut une coopération intergouvernementale et un plan fédéral exécutoire. »