Illustration de l'intérieur de la Cour suprême dans un jeu vidéo.
À quel âge doit-on s’intéresser à la Cour suprême? « Dès qu’on a l’âge de raison », répond le professeur de droit Étienne Trépanier, sourire en coin. « Autrement dit, dès qu’on comprend qu’il faut des règles pour vivre ensemble. Et cela commence dès l’école et même le terrain de jeu! »

Pour rendre ces règles plus concrètes, l’Université d’Ottawa et sa Faculté de droit lancent Expérience Cour suprême, une nouvelle façon de découvrir la plus haute instance du pays. Gratuit, accessible en ligne et offert en français et en anglais, ce projet éducatif comporte deux composantes : Échos de la Cour, un jeu vidéo immersif, et la docu-formation Clés de la Cour, une plateforme d’apprentissage qui combine de courts documentaires et des activités interactives.

Ce projet, qui souligne les 150 ans de la Cour suprême, rappelle que le droit n’est pas qu’une affaire de spécialistes : il incarne les règles du jeu qui se trouvent à la base de notre démocratie.

Découvrir le droit par le jeu

Tout a commencé par une idée originale, voire inédite : faire découvrir la Cour suprême du Canada dès le secondaire grâce à un jeu vidéo et la rendre accessible par les récits des gens qui la fréquentent.  

Depuis plus de deux ans, une vingtaine de collaboratrices et collaborateurs de différents milieux planchent sur le projet. Étienne Trépanier, directeur, Innovation pédagogique et mobilisation du savoir juridique, professeur à temps partiel et juriste avec un passé de vidéaste, Thomas Burelli, professeur et juriste passionné de jeux vidéo, Alexandre Lillo, professeur à l’UQAM, Iphigenia Symeonidis, technopédagogue, Julie Corbeil, documentariste aguerrie, et Affordance Studio, un studio de jeux vidéo proposent six univers, six langages et une même ambition : rendre le droit accessible et vivant.  

Des étudiantes et étudiants en droit et en génie ont également contribué à l’aventure, participant à la conception du jeu et à la création des contenus numériques. Pour Étienne Trépanier, la participation d’étudiantes et d’étudiants de l’Université d’Ottawa est un aspect fondamental de l’initiative : « C’est pour les jeunes, mais aussi par les jeunes. »

Ensemble, les membres de l’équipe ont appris à conjuguer rigueur juridique, narration visuelle, visées éducatives et mécaniques de jeu. Les créatrices et créateurs découvraient l’institution, les juristes repensaient leur façon d’en parler.  

De ces échanges est né Échos de la Cour, un jeu immersif où l’on parcourt les couloirs de la Cour suprême à la recherche d’« échos », ces fragments de témoignages de celles et ceux qui sont passés par là.  

Pour Thomas Burelli, l’idée était de transformer l’apprentissage en expérience : « La joueuse ou le joueur découvre la Cour en vivant une aventure. » Alerte au divulgâcheur : l’édifice majestueux en amènera plusieurs à mettre leur mission sur pause pour explorer les lieux. Qui sont les personnes représentées sur ces bustes? Que voit-on depuis le siège d’un juge?  

Thomas Burelli

« La joueuse ou le joueur découvre la Cour en vivant une aventure. »

Thomas Burelli

— Professeur de droit, section droit civil

Le projet s’est imposé comme une démonstration de ce qu’Étienne Trépanier défend : la démocratisation du savoir juridique en brisant les vases clos entre disciplines. « Je crois qu’il faut libérer le droit de sa camisole de force stylistique et oser de nouvelles approches. En s’alliant à la force du visuel et du multimédia, le droit devient un espace de dialogue ouvert et accessible pour toutes et tous », souligne celui qui se décrit aussi comme un chef d’orchestre entouré de grands virtuoses dans leur domaine. 

Étienne Trépanier

« En s’alliant à la force du visuel et du multimédia, le droit devient un espace de dialogue ouvert et accessible pour toutes et tous. »

Étienne Trépanier

— Directeur, Innovation pédagogique et mobilisation du savoir juridique; professeur à temps partiel

Dès le départ, Étienne Trépanier et Thomas Burelli ont reçu l’appui inconditionnel de Marie-Eve Sylvestre, alors doyenne de la Faculté de droit, Section de droit civil, et aujourd’hui rectrice de l’Université d’Ottawa. « Le jeu vidéo et la docu-formation ne sont qu’un premier pas. L’essentiel commence maintenant; aller vers les communautés, faire circuler ces outils, élargir cette expérience à d’autres institutions démocratiques et continuer de faire grandir la justice là où elle prend vie : dans les classes, les dialogues, les expériences humaines. » 

La docu-formation : la Cour à échelle humaine

Parallèlement au développement du jeu, l’équipe de Jurivision a préparé la « docu-formation » Clés de la Cour, une plateforme d’apprentissage qui combine de courts documentaires et des activités interactives sur le fonctionnement de la Cour suprême, son histoire et son impact sur la société canadienne.

Clés de la Cour offrent des perspectives croisées : celles de juges qui pèsent leurs décisions, d’avocats et d’avocates qui portent la voix de leurs clients et clientes, de personnes dont la vie a été marquée par un jugement, mais aussi d’universitaires qui analysent ce que ces causes révèlent sur notre société. Regarder les capsules offre une expérience intime d’une cour dont les jugements reflètent le monde dans lequel on vit.

Pour la réalisation des capsules, des tournages ont eu lieu dans tout le pays, d’Halifax à Victoria, pour capter les différents récits. Cinq capsules parmi la cinquantaine tournées donnent la parole à des citoyennes et des citoyens qui ont porté leur cause jusqu’à la Cour suprême. Cinq histoires sur leurs enjeux, leur expérience du système judiciaire et les répercussions de ce parcours sur eux, leur famille et leur communauté. Cinq façons de comprendre la justice et son histoire à l’échelle humaine.

« Les jugements découlent de dialogues profondément humains », confie la réalisatrice Julie Corbeil qui a découvert au fil des centaines d’heures d’entrevue non seulement les différents aspects de la cour, mais aussi toute sa sensibilité, son ouverture et son humanité. « J’espère que les jeunes retiendront de ces capsules que la justice n’est pas une abstraction, mais le reflet d’un dialogue constant entre des personnes qui cherchent, ensemble, à faire ce qui est juste. » 

Julie Corbeil

« J’espère que les jeunes retiendront de ces capsules que la justice n’est pas une abstraction, mais le reflet d’un dialogue constant entre des personnes qui cherchent [...] à faire ce qui est juste.  »

Julie Corbeil

— Documentariste aguerrie

Le juge en chef, Richard Wagner, qui confie, en grand-père responsable, son souhait de « laisser un Canada juste à [ses] petits-enfants », les avocates et avocats qui racontent la pression d’une plaidoirie ou des citoyennes et citoyens qui reviennent sur ce moment précis où leur cause a changé leur vie en sont des exemples éloquents.

De l’université à la grande famille de l’éducation, Clés de la Cour tisse un lien durable entre savoir, expérience et citoyenneté. 

Un projet qui fait école

Pour Étienne Trépanier, ce projet sur la Cour suprême n’est qu’un début. Avec l’appui de Patrimoine canadien, des barreaux, des fondations et de nombreux partenaires du milieu juridique, le projet a démontré la force d’une approche interdisciplinaire : les institutions au cœur de notre vie démocratique méritent d’être valorisées par le savoir, la créativité et l’innovation.  

Deux portes d’entrée dans la Cour – le jeu Échos de la Cour et la docu-formation Clés de la Cour – forment un écosystème d’apprentissage inédit, conçu pour rapprocher le public d’une institution essentielle à la vie démocratique.  

« On a souvent l’impression que la Cour suprême est une institution qui traite de grandes questions, loin de la réalité du quotidien », souligne Nicolas Monet, producteur au contenu, recherchiste et scénariste du projet. « Ce projet montre au contraire à quel point ses décisions influencent concrètement la vie des Canadiennes et Canadiens et l’importance de comprendre ce qui s’y passe. »

La prochaine étape? Faire vivre l’expérience. L’équipe souhaite désormais collaborer avec des organismes d’éducation juridique et des conseils scolaires pour développer des guides pédagogiques pour les écoles et faire connaître le projet dans diverses communautés au pays. D’autres collaborations sont déjà envisagées autour d’institutions comme le Parlement canadien ou même les Nations Unies.