« Mes recherches se concentrent sur la photonique térahertz, explique le professeur Ménard. Le térahertz est une zone du spectre électromagnétique de la lumière située entre les micro-ondes et la région proche infrarouge visible. Ces fréquences ont très peu d’applications, car jusqu’à très récemment, il y a une vingtaine d’années peut-être, on ne pouvait pas les observer facilement et détecter le rayonnement dans ce spectre. »
C’est dans cette région qu’il qualifie « d’invisible » que sa collaboration avec Oz Optics, leader mondial des composants en fibre optique installé à Kanata, a pris racine. Ils y ont passé près de dix ans à façonner l’avenir de la photonique.
Un partenariat né pendant un souper
Leur collaboration n’a pas vu le jour dans un laboratoire, mais lors d’un souper à l’ambassade. « Quand je suis arrivé au Canada pour devenir professeur à l’Université d’Ottawa, j’ai vite compris qu’il fallait faire équipe avec l’industrie pour accéder aux voies de financement les plus intéressantes », se souvient Jean-Michel Ménard.
On lui a dit qu’il fallait sortir et parler aux gens. Qu’il n’y avait pas d’autre moyen. C’est ce qui a incité le professeur Ménard à accepter une invitation à souper qui se tenait à la résidence de l’ambassadeur d’Allemagne. « Je suis arrivé trop tôt parce que j’étais probablement trop enthousiaste, dit-il en riant. Il y avait une autre personne : Zahid Sezerman, vice-présidente des ressources humaines chez Oz Optics. Nous nous sommes mis à discuter, et elle m’a dit que je devrais venir visiter l’entreprise. C’est comme ça que tout a commencé. »
Peu de temps après, Oz Optics est devenue l’une des premières entreprises à soutenir la recherche que menait le professeur Ménard, grâce à un programme des Centres d’excellence de l’Ontario et à une subvention Alliance du CRSNG. Le soutien d’Oz Optics lui a permis de lancer son groupe de recherche à l’Université d’Ottawa.
Concevoir des outils pour l’ère térahertz
Au fil des ans, leur collaboration a été à l’origine de plusieurs percées, dont l’une des premières et des plus remarquables a été un dispositif compact appelé amplificateur de champ de crête. « C’est un petit appareil très ingénieux qui prend la puissance, c’est-à-dire la puissance de crête qui sort d’un laser, et l’augmente, explique-t-il. L’énergie de crête s’accroît, même sans ajout d’énergie supplémentaire; il faut plutôt compresser l’énergie dans le temps ».
Ce succès obtenu en début de parcours a mené à l’obtention d’une subvention Alliance du CRSNG en 2021, grâce à laquelle les partenaires ont mis au point un prototype de système de spectroscopie térahertz. Oz Optics a présenté ce prototype lors de salons professionnels et a montré, de façon convaincante, qu’il était possible de jeter des ponts entre la recherche universitaire et l’innovation commerciale.
Ils ont continué à collaborer même pendant la pandémie. « Ça fait maintenant presque huit ou neuf ans, dit le professeur Ménard. Nous avons écrit des articles ensemble, rédigé des demandes de brevets. Notre travail a été très fructueux. »
L’importance de la collaboration
Travailler avec Oz Optics a enseigné à Jean-Michel Ménard des leçons qu’il n’aurait pu apprendre dans aucun cours. « J’ai fait mon baccalauréat, ma maîtrise et mon doctorat en physique, et je travaille dans ce domaine, mais personne ne vous dit comment fonctionne l’industrie, ce qui est “tendance” et comment le monde fonctionne, le monde économique surtout », confie-t-il.
« Oz sait très bien prendre une idée et la commercialiser, dit-il. L’entreprise était là pour nous guider, pour nous demander comment nos recherches allaient se transformer en produit utile ou comment garder en tête la rentabilité… ce genre de choses. »
Ces conseils ont amené le professeur Ménard à revoir sa conception de la recherche. « C’est vraiment une révélation de pouvoir faire de la recherche en gardant à l’esprit ce qui va en advenir, explique-t-il. Après avoir collaboré avec Oz, je comprends beaucoup mieux les étapes de la mise en marché d’une innovation. »
Le partenariat a également donné à ses étudiantes et étudiants un aperçu du monde réel de la recherche et du développement. « J’ai eu des étudiants qui sont allés là-bas, qui ont eu la chance de parler avec la haute direction (PDG et VP) et l’équipe de recherche chez Oz, dit-il. C’est quelque chose que je ne pouvais pas offrir en tant que professeur, sauf par l’intermédiaire de ces liens de collaboration. »
Préparer l’avenir
Au-delà du laboratoire, la collaboration a conduit à de nouveaux champs de découvertes, dont un projet mené dans le cadre du programme Défi « Réseaux sécurisés à haut débit » du Conseil national de recherches du Canada (CNRC), qui doit tester la faisabilité des communications térahertz en régions éloignées. Et bien qu’Oz Optics ait depuis mis le cap sur de nouveaux marchés, la recherche continue d’évoluer dans le Laboratoire Ménard, où l’équipe cherche maintenant des applications médicales à la technologie térahertz.
« En ce moment, j’essaie d’appliquer la spectroscopie térahertz à la médecine, explique le professeur Ménard. J’aimerais savoir si on pourrait l’utiliser pour le dépistage précoce du cancer ».
Même si Oz Optics est passée à autre chose, Jean-Michel Ménard est convaincu de l’importance des bases qu’ils ont établies ensemble. « Au cours des huit dernières années, nous avons aidé Oz à concevoir des systèmes photoniques pour occuper un nouveau marché sur lequel l’entreprise voulait entrer, dit-il. Son soutien à la recherche nous a permis de nous développer, de devenir le laboratoire que nous sommes aujourd’hui. »
Un langage d’innovation commun
L’aspect le plus durable de cette collaboration qui s’est échelonnée sur près de dix ans est la compréhension mutuelle. « Quand on collabore aussi longtemps, on commence à parler le même langage, confie le professeur Ménard. On comprend les objectifs de l’autre. C’est ce qui fait que la recherche avance réellement. »
D’un souper à l’ambassade à un partenariat de recherche de huit ans, le parcours de Jean-Michel Ménard avec Oz Optics montre comment la curiosité de plusieurs peut même faire la lumière sur l’invisible.