Par Linda Scales
À 20 ans, le jeune Maurice Baril quitte l’Université d’Ottawa pour rejoindre les rangs des forces armées canadiennes. L’appel de l’uniforme est plus fort que la perspective d’un diplôme universitaire. Il est alors à l’aube d’une carrière exceptionnelle de 40 ans qui l’amènera au rang de général ainsi qu’à assumer des fonctions au Canada, aux États-Unis, au Moyen-Orient, en Europe et en Afrique, et à occuper le poste de chef d’état-major de la défense du Canada.
« En 1964, la guerre froide faisait rage, la mission au Proche Orient débutait et celle au Congo venait de se terminer. Je ne voyais pas pourquoi j’aurais retardé mon entrée dans l’armée », explique Maurice Baril. Ce dernier avait déjà passé trois étés dans le programme du Corps-école d’officiers canadien, où il avait acquis des compétences en leadership, appris l’anglais et goûté à la vie militaire. « Nous joignions les forces parce que c’était pour nous une grande aventure et parce que nous étions prêts à accomplir absolument n’importe quoi! »
« Je ne me suis pas enrôlé pour devenir chef d’état-major de la défense, mais parce que j’aimais l’armée ».
Le général Baril a pris sa retraite à Ottawa en 2001, après avoir déménagé 22 fois un peu partout dans le monde avec sa famille pour des affectations militaires. Aujourd’hui, il se consacre à sa vie de famille et à ses passions telles que le pilotage de petits avions et le bénévolat au conseil d’administration du cimetière Beechwood.
Il prononcera le message du jour du Souvenir à l’occasion de la cérémonie commémorative à l’Université d’Ottawa le vendredi 9 novembre à 9 h 30 à la rotonde du pavillon Tabaret.
Maurice Baril s’est entretenu récemment avec la Gazette sur sa carrière, le leadership et la réalité du milieu militaire d’aujourd’hui. Voici quelques extraits de l’entrevue.
La chance
Dans l’armée, il faut avoir un minimum de chance. Premièrement, il faut être chanceux pour survivre à toutes les situations; il faut avoir de la chance pour ne pas subir de séquelles physiques et mentales. Il faut également épouser la bonne personne, qui saura s’occuper de la famille que nous laissons derrière nous lorsque nous partons en mission. Enfin, il faut de la chance ou du flair pour choisir les bonnes personnes pour composer notre entourage.
Le leadership
J’avais le don de choisir les bonnes personnes, mais je savais encore mieux comment faire sortir le meilleur de chacune d’elles. J’ai toujours dit que je travaillais avec les cartes dont je disposais. J’ai très rarement trié les gens qui formaient mon entourage, car tout le monde a des qualités qui ne demandent qu’à être mises en valeur au bon endroit et au bon moment.
Lorsque j’avais 18 ans, j’ai retenu une leçon de mon premier instructeur, un vétéran de la guerre de Corée. Cet homme d’une grande sagesse malgré ses 28 ans m’a dit : « Ce ne sont pas les jeunes qui s’adapteront à ton leadership; c’est toi qui adapteras ton leadership à la future génération ».
À mon avis, dans l’armée, chaque génération dure cinq ans. C’est à ce rythme que se succèdent les grands dirigeants. Il est essentiel de préparer les jeunes, car ce sont eux qui nous remplaceront! Ces gens doivent être prêts à diriger.
L’armée en 2018
Aujourd’hui, nous avons dans l’armée des hommes et des femmes de plus grande qualité qu’à l’époque où je me suis enrôlé. Il en est de même pour l’armée dans son ensemble. Pourquoi? Parce que c’est dans l’ordre des choses. Ne pas adhérer à cette philosophie, c’est se condamner à reculer.
Il y a des hauts et des bas. Les temps de paix sont difficiles à gérer. Vous n’êtes jamais totalement prêt pour les conflits qu’on vous demande d’affronter. Quand vous participez à une mission ou un conflit, vous devez vous réorganiser et y faire face du mieux que vous le pouvez au départ, puis vous adapter au fur et mesure que progresse la mission. Dans le cas du Mali, étaient-ils prêts à y aller? Sans aucun doute.
En maintenant des capacités générales, vous êtes toujours prêt à partir en mission si un conflit éclate. C’est un art que nos militaires maîtrisent parfaitement.
L’importance du jour du Souvenir
La population canadienne ne doit jamais oublier ce que les anciens combattants ont fait pour leur pays. Ce que veulent les vétérans, ce n’est pas que nous nous rappelions d’eux, mais bien de ce qu’ils ont fait.
J’assisterai à la cérémonie au Cimetière militaire national du cimetière Beechwood, aux côtés des deux ou trois mille autres vétérans accompagnés de leur famille et de leurs amis, et de nombreux citoyens ordinaires.
Le cimetière militaire national du Canada
Dans les années 90, Roméo Dallaire, quelques autres personnes et moi-même avons décidé d’avoir un cimetière où toutes les personnes ayant servi leur pays auraient le droit d’être enterrées. Lorsque vous servez dans l’armée, vous ne décidez pas où vous serez déployé. Vous partez pour la zone de conflit que votre pays a choisie. Aujourd’hui, toute personne ayant porté l’uniforme peut être enterrée au cimetière militaire national du Canada.
La paix
La paix dans le monde ne se fait pas toute seule. Je suis intervenu dans de nombreux conflits, surtout lorsque j’étais affecté aux Nations unies, et j’ai appris à la dure que nous ne pouvions pas sauver le monde partout en même temps. Le pire qui peut nous arriver est de perdre espoir et d’abandonner. Lorsque tout se bousculait en même temps, j’essayais de remettre les choses en perspective en me rappelant que ma famille allait bien, que mon petit village de Saint-Albert-de-Warwick, au Québec, allait bien, et qu’il en était de même pour ma province et mon pays. Je me remettais au travail et j’essayais de toutes mes forces de faire changer les choses.