Je dois ma réussite à une bourse qui m’a donné un bel élan, et je tiens à rendre la pareille à la nouvelle génération par mon action philanthropique.
J’ai récemment fait le bilan de plus de 60 années d’investissements, d’affaires et d’entreprises prospères. J’ai analysé les principaux événements et les décisions cruciales de ma carrière pour recenser mes grandes victoires. À mon grand étonnement, j’ai réalisé que la moitié seulement de mes efforts ont été couronnés d’un véritable succès. Cette découverte et plusieurs autres constats issus d’une mûre réflexion m’ont conduit à écrire cet addenda à mon livre paru en 2006, Get Smarter.
J’avais écrit ce livre pour transmettre mes leçons de vie, mes idées et mes stratégies aux jeunes en début de carrière. J’y distillais les conseils d’un homme qui a réalisé de grandes choses à partir de rien. Mon objectif était simple : donner une vingtaine ou une trentaine d’idées faciles à mettre en pratique.
Depuis, plusieurs révélations dignes d’intérêt m’ont incité à reprendre la plume. Elles ne seront peut-être pas extraordinaires pour bien des gens, mais elles sont le fruit d’une profonde réflexion alimentée par l’âge, la réussite, les échecs et le recul que seul le temps peut apporter. Comme dans mon livre, ces leçons visent à vous ouvrir les yeux sur ce qui compte vraiment pour mener une brillante carrière et une vie pleinement satisfaisante.
Leçon no 1 : Il faut accumuler les expériences avant de choisir sa voie
J’insiste sur ce point que j’ai brièvement abordé dans Get Smarter : les jeunes doivent accumuler plusieurs expériences qui formeront le socle de leur vie.
Le monde attend de nous la perfection et la clarté dès le plus jeune âge, poussant les enfants à prendre de grandes décisions avant même d’avoir eu la chance d’essayer des choses, d’échouer et d’apprendre à se connaître. On nous demande avec insistance de choisir ce que nous ferons plus tard, de nous projeter dans l’avenir et de tracer notre voie avant d’avoir suffisamment vécu d’expériences et avancé dans notre développement.
D’après mon expérience, la plupart des gens atteignent leurs pleines capacités autour de 26 ans. Je le dis avec indulgence et en connaissance de cause – j’ai quatre petits-enfants et toute une vie d’amitiés, de relations professionnelles et de souvenirs. La plupart des jeunes mettent du temps à s’épanouir. Ce n’est pas une tare, c’est la réalité.
Prenons l’exemple de mon parcours. Je n’avais aucun plan et j’avais la liberté d’essayer différentes choses. J’ai travaillé dans des fabriques de carton et des usines de verre. J’ai étudié la chimie, suivi des cours en génie et laissé libre cours à ma curiosité. Je n’ai jamais suivi une ligne droite, mais chaque expérience m’enrichissait. La somme de mon bagage a fini par m’orienter vers l’analyse boursière, un domaine émergent à l’époque où j’ai tout appris jusqu’à y exceller.
C’est en explorant et en prenant des risques que j’en suis arrivé là. Mes différents emplois m’ont insufflé la détermination, les cours difficiles m’ont appris à réfléchir et mes erreurs m’ont inculqué la discipline. Et je suis convaincu qu’il faut essayer, échouer et prendre le temps de se connaître.
Je vous assure que vous n’avez pas besoin d’avoir une voie toute tracée à 18 ni même à 21 ans. Si vous travaillez dur, si vous vous fixez des objectifs et que vous les atteignez, et si vous osez faire différentes expériences, vous êtes sur la bonne voie.
En vérité, si vous cherchez davantage à grandir qu’à atteindre la perfection, tout ira pour le mieux.
Leçon no 2 : Mieux vaut essayer et échouer que ne jamais rien tenter
L’erreur la plus courante, c’est de se freiner, d’attendre le moment idéal et de rester dans sa zone de confort.
C’est comme au baseball : ce n’est pas grave de se faire retirer, mais c’est grave de ne pas essayer de frapper la balle. Trop souvent, les gens évitent de prendre des risques durant leur jeunesse et en prennent trop en vieillissant.
C’est aussi vrai pour le mariage. D’après mon expérience, les hommes qui ne se sont pas mariés à 36 ans ne se marient jamais, non pas parce qu’ils n’en ont jamais l’occasion, mais parce qu’ils n’ont pas essayé. On ne frappe pas toujours un coup sûr, mais c’est pire de vieillir sans jamais avoir tenté sa chance. Je ne suis pas en train de dire que tout le monde devrait se marier, mais si on en a envie, il faut essayer.
Je me suis marié à 30 ans, et j’ai compris ce que c’est de construire une relation durable. Comme les affaires, le mariage est un pari qui nous oblige à grandir et à être là pour l’autre. Au fil des ans, il donne une profondeur, un rythme et un sens à l’existence.
Mais cette leçon sur le mariage parle en fait de prendre des risques. Qu’il s’agisse de se mettre en couple, de créer une entreprise ou de donner vie à une idée, c’est en avançant qu’on progresse. Et c’est en essayant que l’on comprend. Si on attend les conditions parfaites – le moment idéal, la certitude de réussir –, on sera encore sur le marbre bien après la fin de la manche.
Prenons l’exemple de la mine Goldstrike. Lorsque nous avons investi dans cette mine au Nevada, sept sociétés y avaient déjà cherché de l’or en vain. Mon brillant partenaire Pierre Lassonde et moi-même avons décidé d’essayer là où tous les autres avaient abandonné. Nous avons gagné notre pari : Goldstrike est devenue l’une des mines aurifères les plus grandes et rentables au monde.
Il n’y a pas de progrès sans action. C’est en essayant de frapper la balle qu’on apprend, même si on la rate. On gagne plus à essayer et à prendre des risques qu’à cultiver des regrets toute notre vie.
Leçon no 3 : Avec l’âge, le vécu prend une importance cruciale
À mesure qu’on prend de l’âge, on se demande ce que l’avenir nous réserve. Qu’est-ce que mon expérience va changer à mes points de vue et à mes priorités? Comment vais-je réagir au déclin de mon agilité, de ma force et de ma santé? Et que puis-je faire aujourd’hui pour freiner ce déclin?
On se pose rarement ces questions quand on est jeune et trop occupé à se bâtir une carrière, à chercher l’amour et à profiter de la vie. Or, on prend de meilleures décisions quand on a une idée de ce qui nous attend.
Au fil des ans, j’ai beaucoup lu au sujet du vieillissement. Récemment, j’ai réalisé que la plupart de ces livres avaient été écrits par des quadragénaires ou des quinquagénaires qui ne savent pas encore ce que c’est.
En fait, le vieillissement est une notion qu’on ne peut pas saisir par l’intellect. Il faut le vivre. Ce n’est pas un saut du haut d’une falaise, mais une longue descente sur une pente douce. Et plus on avance, plus on comprend ce qui compte vraiment.
On apprend à lâcher prise même si on veut s’accrocher. On dit adieu à des êtres chers, l’un après l’autre. Et on fait un tri pour ne garder que les choses les plus importantes.
Au fur et à mesure, tout devient clair. On arrête de faire semblant. On reconnaît les vraies amitiés. On économise notre énergie. Et, par-dessus tout, on se rend compte que notre bien le plus précieux, ce n’est pas l’argent : c’est le temps.
D’ailleurs, tout le monde envie les riches, mais les riches envient les jeunes, pas seulement pour leur dynamisme et leur chevelure encore intacte, mais pour le temps qu’il leur reste et la chance de mieux l’employer.
C’est pour cette raison que les jeunes auteurs passent à côté de l’essentiel. Ces personnes émettent des théories sur le vieillissement sans jamais avoir connu la lourdeur d’une grande perte ni découvert ce qui survit aux bouleversements. Elles n’en mesurent pas le coût réel ni les bénéfices.
Alors, ayez de l’audace, tirez les leçons de chaque expérience et ne croyez pas tout ce qu’on raconte dans les livres (sauf le mien).
Leçon no 4 : Il suffit d’avoir raison une fois sur deux
J’ai mentionné au début que durant ma carrière, je me suis trompé une fois sur deux. Permettez-moi de vous expliquer.
On s’imagine en général que l’investissement est une affaire de décisions judicieuses, d’alignement des planètes ou de formule secrète. Or, selon mon analyse, j’ai eu raison une fois sur deux. C’est ma moyenne au bâton, mais c’était assez pour assurer ma réussite.
Pensez à Ted Williams, l’un des meilleurs batteurs de l’histoire du baseball avec une moyenne de 0,400. Quatre frappes sur dix. Il n’en faut pas plus.
Je n’ai pas fait fortune en prenant toujours les bonnes décisions, mais j’ai fait les bons choix qui comptaient vraiment. Je dois la majeure partie de mon patrimoine à une poignée de décisions qui exigeaient une forte conviction, alors que tous les autres fuyaient. Pour gagner beaucoup d’argent, il faut avoir une conviction inébranlable, une bonne position en bourse et un bon jugement au bon moment.
Je vous donne un exemple.
Vous avez 100 $ et vous voyez une occasion d’investissement prometteuse. Si vous placez 1 $ avec un rendement multiplié par 10, vous obtiendrez 110 $. Mais si vous investissez 10 $ avec le même rendement, vous aurez 200 $, soit le double de votre somme initiale.
Quand on prend la bonne décision, on gagne beaucoup. Quand on se trompe, on essuie une perte totale ou de 30 %.
Donc, si on multiplie les tentatives et qu’on a raison une fois sur deux, on accumule les gains à long terme.
Leçon no 5 : Il faut savoir flairer les titres à faible risque et à haut rendement
Bon nombre de professionnelles et professionnels de l’investissement suivent le troupeau et choisissent des titres alignés de près sur les indices des marchés ou traquent les titres en forte progression ayant un ratio cours-bénéfices élevé. Or, quand l’humeur des marchés s’aigrit et que les multiples reviennent à la moyenne, ces titres risquent fort de plonger.
Mais on peut adopter une tout autre approche qui m’a bien réussi.
Je dois une bonne partie de mon succès en bourse à l’achat de titres triés sur le volet dont les cours avaient atteint des planchers : des actions autrefois négociées à 25 $ qui ont dégringolé à 5 $ et se maintiennent à ce niveau pendant des années. Je misais sur des entreprises tombées en disgrâce qui conservaient néanmoins une valeur sous-jacente, dont les fondations restaient solides et qui ne se dirigeaient pas vers la faillite.
Au fil des ans, des sociétés du secteur des ressources et de l’énergie comme Vale, Rio Tinto et Murphy Oil ont prouvé l’efficacité de cette stratégie. Lorsque les ralentissements cycliques ou la rotation sectorielle ont fait baisser leurs cours, j’ai vu le potentiel de leurs solides capacités opérationnelles et de leurs équipes de direction efficaces alors que d’autres ne voyaient que la volatilité à court terme.
Il faut s’armer de patience, car bien souvent ces positions mettent du temps à se rentabiliser, et rester focalisé sur la valeur sous-jacente plutôt que l’humeur des marchés. On ne gagne pas à tous les coups, mais il faut être prêt à investir et à y croire quand la bonne occasion se présente.
Le plus important
On me demande souvent ce que j’aimerais que la postérité retienne de moi : le philanthrope, l’homme d’affaires ou l’investisseur?
Rien de tout cela.
Le plus important pour moi, c’est de me rendre utile. Ma vie, et en particulier mon action philanthropique, a tourné autour de cette simple question : comment puis-je servir les autres? Ce qui compte pour moi, c’est ce que j’ai écrit, construit ou soutenu qui a amené les gens à voir les choses autrement et à prendre de meilleures décisions.
C’est pourquoi j’ai consacré beaucoup de temps et d’argent à éliminer les obstacles aux études. Nous avons établi des programmes de bourses et des facultés partout au Canada et ailleurs pour que de brillants esprits puissent se vouer entièrement à leurs études et à la réalisation de leur potentiel, et finissent par créer un réseau de leaders qui s’entraident et servent la société.
Nous lisons toutes les lettres que nous envoient des lauréates et lauréats de bourses, et elles ont toutes un point commun : la volonté de redonner. Qu’il s’agisse de lancer un programme d’enseignement du codage aux enfants, de faire du bénévolat ou de choisir une carrière au service des autres, toutes ces personnes ont compris que la réussite ne se limite pas aux réalisations personnelles. Et j’en suis profondément touché.
Comme l’a si bien dit Forest Witcraft : « Dans cent ans, l’argent que vous aurez gagné, la maison dans laquelle vous aurez vécu ou la voiture que vous aurez conduite auront peu d’importance, mais le monde sera peut-être différent parce que vous aurez joué un rôle important dans la vie d’un enfant. »
Le plus bel héritage qu’on puisse laisser, c’est d’avoir aidé des gens à s’épanouir pleinement.
Alors, s’il y a une seule chose à retenir de ces leçons, c’est la suivante.
Menez une vie digne de réflexion. Bâtissez votre carrière, développez vos compétences et cultivez votre intérêt pour ce qui pique votre curiosité. Mais ne vous arrêtez pas là : demandez-vous comment mettre votre expérience au service des autres. Il n’y a pas que le succès qui donne un véritable sens à la vie. Il y a aussi tout ce qu’on fait au profit des générations suivantes.