Ma nouvelle vie de parent en télétravail : une adaptation incontournable

Télétravail
Une femme travaille sur son ordinateur portable alors que sa fillette, assise à côté d'elle, joue sur un ordinateur pour enfant.
S’occuper d’un tout-petit n’est pas toujours facile en temps normal. En période de pandémie, les choses se compliquent davantage. Heureusement, les spécialistes de l’Université d’Ottawa sont là pour vous aider.
Une fillette est assis par terre et tire sur la jambe de sa mère. La mère essaie de travailler sur son ordinateur portable.

Par Sabrina Daniel
L'auteure occupe le poste de créatrice de contenu à la Direction générale des communications de l'Université d'Ottawa.

Lorsque ma fille de deux ans et demi est anxieuse, contrariée, bouleversée, elle suce son pouce et serre fort sa doudou, une couverture pour bébé duveteuse dont elle ne peut se passer. Depuis le début de la pandémie et ma situation de maman en télétravail, j’ai constaté qu’elle suçait beaucoup plus souvent son pouce, au point que sa peau est à vif.

Comme tant de parents qui s’adaptent au confinement, je manque de sommeil, je travaille trop et j’ai très peu de temps pour me détendre et recharger mes batteries. Résultat : j’explose plus vite, j’ai du mal à gérer ma frustration et je fais moins attention aux besoins de ma fille. Je suis ensuite tenaillée par la culpabilité et un sentiment d’incompétence. Je crains de ne pas y arriver comme parent.

Cette situation est encore plus complexe pour les familles monoparentales, les parents qui font face à des problèmes de santé mentale ou en situation de handicap, qui travaillent en première ligne ou qui se battent pour joindre les deux bouts.

Alors, que faire en tant que parent? Je travaille à l’Université d’Ottawa et, à ce titre, j’ai beaucoup de chance : j’ai accès à une vaste gamme de connaissances et d’expertise universitaires. J’ai donc fait part de mes appréhensions à des psychologues de l’Université et à des spécialistes du développement de la petite enfance. Je leur ai demandé conseil. Voici ce qu’ils m’ont dit.

Une femme travaillant sur son ordinateur portable alors que sa fillette est assise à côté d'elle, tient la souris de l'ordinateur et pointe un doigt vers l'écran du portable.

Je crains de ne pas répondre correctement aux besoins émotionnels de ma fille et de l’insécuriser.

Pour affronter cette crainte, Lauren Scarsella, ancienne étudiante de l’Université d’Ottawa et psychothérapeute spécialisée dans le traumatisme du développement, m’a parlé du concept du « parent suffisamment bon », expression forgée dans les années 1950 par le psychanalyste britannique D. W. Winnicott pour alléger la pression que s’imposent les parents qui visent la perfection.

Un point essentiel ressort du travail du Dr Winnicott : il est tout à fait irréaliste de s’attendre à ce que les parents soient parfaitement capables de répondre aux besoins émotionnels de leurs enfants. Pour Winnicott, le « bon parent » est « suffisamment bon » pour détecter les signaux envoyés par l’enfant et y répondre de façon satisfaisante.

« Les parents pensent qu’ils doivent toujours avoir la bonne réponse, ce qui leur fait vivre une pression indue. Ils croient qu’il leur faut décoder les pensées de leurs enfants, explique Lauren Scarsella. Cette culpabilité entraîne un sentiment d’incompétence et des interventions boiteuses auprès des enfants. S’infliger ce niveau de pression va d’ailleurs à l’encontre de toute créativité et de toute réceptivité, ce dont nos enfants ont véritablement besoin. »

Dans les années 1970, Edward Tronick, un psychologue américain du développement, et ses collègues ont poussé ce concept plus loin. Ils ont fait des expériences pour évaluer à quelle fréquence les parents étaient au diapason des besoins émotionnels de leur enfant. Autrement dit, à quelle fréquence ils réussissaient à interpréter correctement les signaux émis par leur enfant et à y répondre de façon apaisante.

« Il s’agissait ici de déterminer ce dont les parents avaient besoin pour se retrouver avec, en face d’eux, une petite personne sûre d’elle, empathique et équilibrée. Quels étaient les ingrédients nécessaires?, ajoute Mme Scarsella. Faut-il répondre parfaitement aux besoins émotionnels de nos enfants tout le temps? La moitié du temps? Quel est le chiffre magique? »

Il s’est avéré que les « interactions parfaitement adaptées » entre les parents et leurs enfants ne se produisaient que dans 20 % à 30 % des cas. Le reste du temps, les parents sont complètement déconnectés de leurs enfants ou tentent de rétablir le contact.

« Le plus important, lorsque nous nous trompons, c’est ce qui se passe après pour rétablir le juste cours des choses, poursuit la psychothérapeute. Lorsqu’il y a de la tension ou des conflits dans la famille, c’est justement le fait de passer à travers ensemble qui permet aux enfants d’apprendre la résilience. »

Une une fillette porte des écouteurs sur sa tête. Elle est assise devant un ordinateur portable alors que sa mère l'observe au loin.

J’ai peur que ma fille rate de précieuses expériences. Je crains de ne pas lui fournir le milieu stimulant dont elle a besoin.

En tant que parents, nous sommes obsédés par le développement de nos enfants. De quelles expériences ont-ils besoin? Sont-ils suffisamment stimulés? À combien d’activités doit-on les inscrire? À quoi faut-il ou ne faut-il pas les exposer?

« De plus en plus, les psychologues du développement avancent que les types d’expériences dont les bébés et les enfants ont besoin sont ceux que la plupart d’entre nous leur proposent déjà », affirme Cristina Atance, professeure de psychologie à l’Université d’Ottawa et responsable du Laboratoire sur l’apprentissage et la cognition de l’enfant.

« Parler beaucoup à la maison, créer des mondes imaginaires, dessiner, lire des livres, raconter des histoires, faire de la musique avec des casseroles… les enfants profitent de toutes sortes d’expériences parce que, en tant qu’êtres humains, notre apprentissage est très malléable, très plastique. Il n’y a pas d’expériences précoces données que les enfants doivent vivre pour se développer correctement. Et aucun élément probant n’atteste que nous devons leur gaver le cerveau de stimulation et d’information. »

Ma fille est enfant unique. Va-t-elle acquérir les habiletés nécessaires à sa socialisation?

Je crains que ma fille ne passe à côté des nombreux avantages que lui procureraient des contacts avec ses pairs. Jouer avec d’autres enfants à la garderie, par exemple, lui permettrait d’acquérir de précieuses compétences en socialisation, comme l’empathie, le partage, le fait d’attendre son tour et de faire des compromis. Les enfants apprennent à décoder les signaux sociaux, à écouter et à raconter des histoires, à fixer et à changer des règles, à savoir quand diriger, quand suivre.

« Leurs pairs font avancer nos enfants, précise la professeure. En tant que parents, nous prévoyons ce que nos enfants vont dire, ce dont ils ont besoin, ce qu’ils veulent. Nous avons tendance à terminer leurs phrases, à leur obtenir des choses, à leur faciliter la vie, à leur céder souvent, surtout lorsque nous voulons que les choses se fassent rapidement. Dans un groupe de pairs, il y a plus de négociations. Impossible d’obtenir tout ce que l’on veut avec d’autres enfants : ils ne lisent pas dans nos pensées, ils ne nous aideront pas autant, et les petits doivent développer leurs compétences linguistiques s’ils veulent se faire comprendre. »

Selon Cristina Atance, il y a une chose que nous pouvons faire à la maison lorsque nous passons du temps avec nos enfants : prioriser les activités et les jeux qui contribuent à développer ces compétences.

L’autre jour, j’ai joué à Puissance 4 avec ma fille. Nous n’avons pas appliqué toutes les règles, mais notre but était de laisser tomber une pastille chacune à notre tour dans les colonnes. Chaque fois qu’elle essayait de passer mon tour, nous avons fait une pause pour parler de l’importance de jouer dans un esprit de collaboration.

Que faire pour développer son imagination et préserver son sens de l’émerveillement? Comment pourrais-je remplacer une camarade de jeu?

Lorsqu’un enfant joue librement, sans structure préalable, il développe son imagination, sort des sentiers battus. Il peut ainsi tester les limites de sa réflexion et de son corps sans que les parents s’en mêlent.

« En tant que parents, nous avons tendance à imposer notre vision du monde », souligne Jean-François Bureau, professeur de psychologie à l’Université d’Ottawa, dont les recherches portent sur les relations d’attachement, les dynamiques familiales et la façon dont les enfants nouent des liens de confiance avec leurs parents. « Nous aimons la cohérence, que les choses aient un sens pour nous, et ainsi avons-nous tendance à “corriger” nos enfants. »

J’en suis certainement coupable. Lorsque ma fille joue avec son jeu de construction, par exemple, je ressens souvent l’urgence d’intervenir pour lui dire que les cubes les plus lourds doivent se trouver à la base. Mais, ce faisant, je l’empêche d’expérimenter ce qui se passe si les cubes les plus lourds se trouvent en haut. PATATRAS!

« C’est la raison pour laquelle c’est plus simple entre enfants, ajoute le professeur Bureau. Avec des camarades de jeu, l’enfant est plus libre de faire des choses stupides. Il n’y a pas ce jugement; il accepte tous les scénarios et constate avec bonheur ce qui se passe. Les parents ont tendance à adopter le rôle de l’éducateur plus spontanément parce qu’ils savent que l’enfant va s’adonner au volet jeu ailleurs. Mais maintenant, ils doivent porter les deux casquettes. »

Comme parent, je me demande toujours si je dois éduquer ma fille ou s’il est préférable que je la laisse faire ses propres découvertes. Si nous prévoyons du temps pour jouer librement, période pendant laquelle nos enfants prennent les rênes, décident, dictent les règles, une partie de ce questionnement devrait disparaître de lui-même.

« Il s’agit de s’assurer que l’environnement de jeu ne présente aucun danger et ensuite de laisser le champ libre à l’enfant. C’est la nature même du jeu symbolique, poursuit Jean-François Bureau. C’est grâce à cette exploration et à cette expérimentation que les enfants commencent à comprendre le monde. »

Ma fille veut participer aux tâches ménagères. Mais c’est tellement plus rapide si je m’en occupe moi-même. Je crains qu’elle ne perde une partie de son autonomie et de sa confiance en elle.

« Les enfants sont souvent très enthousiastes et motivés dès qu’il s’agit de donner un coup de main et de participer à des activités. Mais ils ne maîtrisent pas encore très bien tous les rouages de ces tâches. J’aime alors parler “d’aide inutile” », mentionne Stuart Hammond, professeur de psychologie à l’Université d’Ottawa, qui étudie les concepts d’altruisme chez les jeunes enfants. « Parfois, le plus difficile, pour un adulte, est de gérer le désir d’aider ou de participer de ses enfants. »

Je comprends bien la situation. Ma fille adore m’imiter et ne recule devant aucune tâche, même les plus difficiles ou les plus dangereuses. Si je lui dis non, elle fait souvent une crise et je dois cesser ce que je suis en train de faire pour la calmer et lui expliquer pourquoi je lui ai dit non. Dans ces cas-là, j’évite la plupart du temps une crise en lui donnant une tâche plus petite avant d’entreprendre ce que j’ai à faire.

« C’est exactement l’idée qui sous-tend la notion d’“échafaudage” », renchérit le professeur Hammond. C’est un terme que les psychologues utilisent pour décrire la structure que les adultes proposent aux enfants à mesure que ceux-ci acquièrent de nouvelles habiletés.

« Les enfants ne sont pas toujours capables de s’acquitter d’emblée d’une tâche complète, mais vous, comme parent, vous pouvez décomposer cette tâche en éléments plus petits qui sont réalisables. Si vous constatez que votre enfant maîtrise certaines tâches, encouragez-le. Voyez s’il peut aller plus loin, s’il peut gagner en confiance. »

Vos enfants veulent vous aider. Pourquoi ne pas les laisser faire? Au début, c’est certain, le chaos l’emportera, mais au moins ils sauront comment garder la maison propre. Et peut-être même tiendront-ils moins ces tâches pour acquises en grandissant. On peut rêver, non?