De la #misèredesmanuels aux REL : qu’est-ce que la Semaine de l’éducation libre?

Nous avons discuté avec un étudiant, une bibliothécaire et un professeur – tous trois impliqués, chacun à sa manière, dans la promotion de l’éducation libre à l’Université d’Ottawa – pour avoir leur point de vue sur ce que représente la Semaine de l’éducation libre.

 

Par Alex Latus

Saviez-vous que la semaine du 4 au 8 mars est la Semaine de l’éducation libre? La Bibliothèque et le Service d’appui à l’enseignement et à l’apprentissage organisent pour l’occasion une série d’événements gratuits à l’intention de la population étudiante et du corps professoral. Pourtant, cette manifestation et le mouvement d’envergure mondial qui lui est associé ne sont pas connus de tous. Nous avons donc discuté avec un étudiant, une bibliothécaire et un professeur, tous trois impliqués, chacun à sa manière, dans la promotion de l’éducation libre à l’Université d’Ottawa, pour connaître leur point de vue sur ce que représente la Semaine de l’éducation libre.


Qu’est-ce que la Semaine de l’éducation libre, au juste?

Kevin Roy, étudiant de 4e année en sciences biomédicales (KR) : L’éducation libre est un moyen par lequel nous pouvons contribuer à l’élimination des obstacles financiers qui bloquent l’accès à l’éducation, en particulier aux études supérieures. L'éducation libre est gratuite, accessible et de haute qualité puisque que les ressources qu'elle utilise sont tout autant l'œuvre d'universitaires que celles offertes par les maisons d'édition commerciales. La Semaine de l’éducation libre est une occasion pour la communauté universitaire de discuter des avantages de l’éducation libre et des moyens de la promouvoir par l’utilisation des REL sur le campus. Comme le dit le slogan de Creative Commons, « le partage profite à tout le monde ».

 

Pourquoi les REL sont-elles aussi importantes?

Mélanie Brunet, bibliothécaire des droits d’auteur (MB) : En gros, on appelle « ressources éducatives libres », ou REL, tout type de matériel pédagogique rendu accessible gratuitement et librement pour qu’il puisse être partagé, réutilisé et adapté.

Alistair Savage, professeur au Département de mathématiques et de statistique (AS) : Il en résulte, tout d’abord, une réduction des coûts pour les étudiants. Par ailleurs, la gestion des droits numériques et la protection des fichiers contre la copie étant éliminées, ces ressources font l’objet de mises à jour fréquentes, en plus d’être faciles à utiliser. Enfin, comme de nombreuses licences libres autorisent la modification, les professeurs peuvent même enrichir ou personnaliser ces ressources en fonction de leurs besoins particuliers.

MB : Cette absence de restrictions liées aux droits d’auteur permet, en fin de compte, de créer des ressources mieux adaptées aux étudiants et plus susceptibles d’être utilisées par eux. Par exemple, la grande majorité des REL disponibles en ce moment sont en anglais – comme c’est le cas des manuels vendus dans le commerce. Mais étant donné qu’elles sont en accès libre, on peut en combiner différentes parties et les traduire de manière à produire un tout nouveau manuel en français.

 

Que faites-vous pour introduire les REL à l’Université d’Ottawa?

KR : Avec l’Association des étudiants en sciences, je participe à une initiative étudiante visant à créer un manuel libre, gratuit et bilingue pour un important cours de premier cycle de la Faculté des sciences. Idéalement, il s’agirait d’adapter un manuel existant en accès libre et de le traduire en français pour qu’il soit disponible dans les deux langues officielles. Le résultat serait très avantageux pour les étudiants et étudiantes francophones, le choix en matière de manuels scientifiques dans leur langue étant limité et les mises à jour peu fréquentes.

MB : Outre la sensibilisation au libre accès et sa mise en pratique dans mon propre travail, mes responsabilités en tant que bibliothécaire des droits d’auteurs m'amènent également à former la communauté universitaire sur les possibilités que les licences libres offrent à la fois aux créateurs de contenu et aux utilisateurs. Mon objectif personnel est de participer à l’élaboration d’une stratégie en matière d’éducation libre pour l’Université.

AS : J’ai pris la décision, il y a plusieurs années déjà, de ne jamais utiliser de matériel de cours qui ne soit pas librement accessible aux étudiants. Cela implique le plus souvent de recourir à des manuels en libre accès et de travailler à partir de notes de cours que je publie sur ma page Web. Il m'a aussi paru utile de dresser et de publier une liste de manuels de mathématiques de qualité disponibles en libre accès. La pertinence de publier cette liste tombait sous le sens. Avec l’aide d’un ami travaillant en développement Web, j’ai donc créé openaccesstexts.com, une ressource en ligne à l’intention des professeurs et des étudiants en quête d’options en libre accès en matière de manuels universitaires.

 

Quelle est la place de la #misèredesmanuels dans tout ça?

KR : Souvent, les manuels sont tout simplement trop coûteux pour certains étudiants. Pourtant, les recherches ont montré que ceux qui n’achètent pas le manuel prescrit sont plus susceptibles d’avoir des notes médiocres, d’échouer dans leur cours et de mettre plus de temps à obtenir leur diplôme.

Beaucoup se tournent vers les médias sociaux, dans le cadre de la campagne #misèredesmanuels, pour exprimer leur frustration à l’égard de cette situation. Résultat, certains membres du corps professoral ou du personnel administratif se sont mis à avoir recours aux ressources éducatives libres. Cela dit, notre tâche dans ce dossier est loin d’être terminée!

MB : Au cours de la dernière année, la Bibliothèque a mené sa propre campagne sur le sujet. Nous avons demandé aux étudiants de nous dire quelle somme ils consacraient à leur matériel de cours en ajoutant leurs réponses sur nos affiches #misèresdesmanuels. Nous avons reçu plus de 200 réponses en janvier dernier seulement. L’objectif était d’établir un point de comparaison ainsi que de donner une idée plus précise de que ce que la communauté universitaire pourrait envisager de faire pour régler ce problème. Je pense que sensibiliser les gens à l’existence des REL fait partie de la solution.

 

Qu’est-ce que les membres de la population étudiante, du corps professoral ou du personnel de soutien peuvent faire pour promouvoir l’éducation libre?

AS : Selon moi, l’un des principaux facteurs qui freinent l’adoption à grande échelle des ressources libres est la force d’inertie : on a beaucoup moins de travail quand on se contente de prescrire aux étudiants et étudiantes le même manuel que l’année précédente plutôt que de le remplacer par un ouvrage en libre accès.

KR : C’est pour cette raison que notre travail, à nous étudiants, consiste à démontrer aux professeurs et à l’administration les immenses avantages que comportent les REL, des avantages qui compensent largement l’investissement en temps que requiert leur mise en œuvre. Une récente étude parue dans l’International Journal of Teaching and Learning in Higher Education montre que l’utilisation des REL en classe est liée à une amélioration des notes et à une réduction des taux d’abandon et d’échec chez les étudiants. Mais les REL sont aussi avantageuses pour les professeurs : beaucoup d’entre eux ont constaté, après avoir adopté les REL, que les étudiants s’inscrivaient en plus grand nombre à leurs cours et leur accordaient une évaluation plus favorable.

MB : Une autre manière de faire la promotion de l’éducation libre consiste à s’informer de ce qui est déjà disponible et d’en incorporer une partie dans son propre travail. Au Canada, BCcampus et eCampusOntario font œuvre de pionniers en finançant des projets dans ce domaine et en mettant en ligne des bibliothèques de ressources existantes. Mais tout le monde, bien entendu, devrait aussi participer à la Semaine de l’éducation libre!