Une affaire de biopiraterie impliquant Dior résolue grâce à un professeur de droit

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Thomas Burelli
Thomas Burelli, professeur en droit de l’environnement à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa, est au cœur de la résolution d’un conflit entre Parfums Christian Dior et un peuple autochtone de la Nouvelle-Calédonie.
Thomas Burelli et Louis-Romain Riché au Sénat Coutumier de la Nouvelle-Calédonie.

It has been an exciting year for Thomas Burelli, Professor of Environmental Law in the Civil Law Section, and it is capped off as he receives a PhD in Law at uOttawa’s 2020 Spring Convocation.

His research was aimed at studying collaborative relationships between scientific researchers and Aboriginal communities, with the goal of establishing equitable and respectful relationships between them. He sought to contribute to the evolution of these relations by drawing on the best practices developed in Canada.

«In the past, I had observed the attitudes of researchers towards Aboriginal communities and their knowledge - an arrogant and contemptuous attitude. That's what made me want to dig deeper into these relationships. »

Une vingtaine de personnes réunies autour d'une table dans une salle de réunion en Nouvelle-Calédonie.

His work, carried out under the supervision of law professors Sophie Thériault and François Féral, contributes to the fight against biopiracy. This is what happened recently in New Caledonia, where he took part in the resolution of a conflict between the Parfums Christian Dior company and an indigenous people of this Oceania archipelago.

Logo sur deux facades d'une boutique Dior.

Par Johanne Adam

During the 1990s, Parfums Christian Dior patented six plants native to New Caledonia with the goal of integrating them into their high-end cosmetic products. However, the luxury brand had learned of the medicinal properties of these plants from the Kanak, the people indigenous to this Pacific archipelago.

The circumstances surrounding Dior’s appropriation of these plants eventually resulted in a conflict between the multinational company and the local population.

Some two decades later, on November 30, 2019, Dior and the Customary Senate of New Caledonia issued a joint statement in which they indicated that they had found common ground. Thomas Burelli, who teaches environmental law at the Civil Law Section of the Faculty of Law, University of Ottawa, played a major role in resolving this conflict.

For the time being, the details of these discussions and their consequences remain confidential.

La dernière année a été fébrile pour Thomas Burelli, professeur de droit de l'environnement de la Section de droit civil, et elle se conclut de façon remarquable avec l'obtention d'un doctorat en droit lors de la collation des grades du printemps 2020.

Ses recherches visaient à étudier les relations de collaboration entre chercheurs scientifiques et communautés autochtones, dans le but d’établir entre eux des relations équitables et respectueuses. Il a voulu contribuer à l’évolution de ces relations en s’appuyant notamment sur les bonnes pratiques développées au Canada.

« J’avais observé dans le passé l’attitude des chercheurs vis-à-vis des communautés autochtones et de leurs savoirs — une attitude arrogante et méprisante. C’est ce qui m’a poussé à creuser davantage ces relations-là. »

Ses travaux, réalisés sous la supervision des professeurs de droit Sophie Thériault et François Féral, contribuent à lutter contre la biopiraterie. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit récemment en Nouvelle-Calédonie, où il a pris part à la résolution d’un conflit entre la société Parfums Christian Dior et un peuple autochtone de cet archipel d’Océanie.


 

Par Johanne Adam

Dans les années 1990, la société Parfums Christian Dior fait breveter six plantes indigènes de la Nouvelle-Calédonie dans le but de les intégrer à ses produits cosmétiques haut de gamme. Dior a découvert les propriétés médicinales de ces plantes grâce aux Kanaks, un peuple autochtone de cet archipel d’Océanie.

Les circonstances dans lesquelles la société s’est approprié les plantes finit par provoquer un conflit entre la multinationale et la population locale.

Le 30 novembre 2019, soit une vingtaine d’années plus tard, Dior et le Sénat coutumier de la Nouvelle-Calédonie rendent publique une déclaration dans laquelle ils indiquent avoir trouvé un terrain d’entente. Thomas Burelli, professeur en droit de l’environnement à la Section de droit civil de l’Université d’Ottawa, est au cœur de la résolution de ce conflit.

Pour l’heure, les détails des discussions et leurs débouchés demeurent confidentiels.

Un travail de longue haleine

Ce résultat est l’aboutissement d’un travail de longue haleine de la part du professeur Burelli.

Tout a commencé au début des années 2010, dans le cadre de ses recherches sur la biopiraterie, c’est-à-dire l’usage abusif de savoirs traditionnels autochtones, en particulier ceux utilisés dans la médecine traditionnelle.

« Alors que j’effectuais une veille des projets de recherche portant sur les savoirs traditionnels, je suis tombé sur des cas très problématiques de plantes qui avaient été identifiées et valorisées grâce à des savoirs kanaks. »

L’Institut de recherche pour le développement (IRD), un organisme de recherche public français, réalise des études sur ces plantes dans les années 1990. Les résultats de ces recherches, obtenus grâce aux connaissances des autochtones locaux, sont plus tard cédés à Dior.

« À l’époque, il s’agissait d’une pratique très répandue. On peut observer plusieurs cas de ce type dans la littérature scientifique», déclare M. Burelli.

La première réaction du professeur a été de demander aux autorités kanakes si elles étaient au courant de la situation.

Discussions en vue d’une résolution

« Lors d’une mission de terrain en 2015, je suis allé rencontrer le Sénat coutumier de la Nouvelle-Calédonie, l’organisme qui regroupe des représentants de chaque aire coutumière du territoire. Ils connaissaient bien ces plantes, notamment pour leurs propriétés médicinales. Certains se souvenaient des enquêtes qui avaient été menées sur leur territoire, mais n’avaient aucune idée que les connaissances transmises aux chercheurs français avaient été exploitées de la sorte. »

Dès lors, Thomas Burelli veut rectifier la situation et obtient pour ce faire l’aval du Sénat coutumier. « Ça a mis beaucoup de temps. J’étais seul et j’avais du mal à faire avancer le dossier ».

Il sollicite alors l’aide de Louis-Romain Riché, avocat à la Cour de Paris.

Ensemble, ils rencontrent des représentants de Dior et entament des discussions qui débouchent sur la rédaction de la déclaration commune.

« L’entreprise a adopté une approche très respectueuse et constructive tout au long des échanges. J’ai été très impressionné par la prise de conscience et l’ouverture de Dior », souligne le professeur.

Reconnaissance du savoir-faire traditionnel

Dans la déclaration publique commune du Sénat coutumier et de la société Parfums Christian Dior, l’entreprise réitère son soutien au peuple kanak en matière de protection de ses savoirs traditionnels.

« Parfums Christian Dior souhaite ainsi réaffirmer son respect des droits du peuple kanak sur la biodiversité de son territoire, ceci tant dans une logique de reconnaissance de ses savoir-faire traditionnels que de préservation de l’environnement. » — Parfums Christian Dior

Les autorités kanakes se disent pour leur part honorées par cette déclaration. Elles maintiennent toutefois que ce genre de chose ne peut plus jamais se reproduire en territoire kanak.

« Cette affaire met en lumière les impacts à long terme de la colonisation sur les peuples autochtones. La restitution souligne par ailleurs la valeur des cultures autochtones dans la recherche internationale. » — Cyprien Kawa, chef tribal et membre du Sénat coutumier de la Nouvelle-Calédonie

Pour Thomas Burelli, il s’agit d’une démarche historique dans l’outre-mer français.

« La résolution de cette affaire est une première en France et je suis très heureux du dénouement de cette histoire au bout de quatre années de discussions. »
 

Projet de code éthique

Le travail n’est pas pour autant terminé pour le professeur Burelli, qui continue à œuvrer en faveur de relations plus équitables entre chercheurs et communautés autochtones en matière d’accès aux savoirs traditionnels. Il s’agit d’ailleurs du thème principal des recherches doctorales qu’il vient d’achever en septembre 2019.

« J’ai pu observer qu’en France, il n’existe quasiment aucun outil d’encadrement des recherches impliquant les peuples autochtones. Au contraire, au Canada, les instruments de ce type sont très nombreux. »

Durant son séjour en Nouvelle-Calédonie, Thomas Burelli a partagé les résultats de ses recherches et notamment un projet de code éthique pour les études impliquant les communautés autochtones. Celui-ci a été remis au Conseil national du peuple autochtone de Kanaky–Nouvelle-Calédonie, ainsi qu’à l’Agence de développement de la culture kanake.

« De nombreuses choses ont évolué depuis que j’ai entamé mes recherches dans ce domaine dans les années 2010. Plusieurs utilisations abusives ont été dénoncées avec succès et des outils innovants commencent à émerger. Les acteurs locaux ont pris conscience de leurs pouvoirs, notamment celui de refuser des projets de recherche et d’imposer leurs conditions aux chercheurs. J’ai beaucoup d’espoir pour la transformation positive des relations entre chercheurs et autochtones dans l’outre-mer français. »