Robert Ben du Département de chimie de l’Université d’Ottawa dirige une initiative de plusieurs millions de dollars pour contrecarrer la croissance de la glace afin de préserver des échantillons biologiques pour une utilisation future
On dit que les plus grandes innovations sont inspirées de la nature. Ce sont justement les caractéristiques biologiques d’un poisson d’eau froide qui ont inspiré un scientifique de l’Université d’Ottawa à développer une méthode pour congeler les cellules souches et les tissus, sans risque de « brûlure de congélation ».
Robert Ben, professeur de chimie à l’Université d’Ottawa, est l’un des deux cerveaux derrière ce nouveau procédé de congélation qui repose sur l’action de petites molécules organiques prévenant la formation de glace. Cette méthode améliore la préservation du matériel biologique utilisé dans les domaines de la thérapie cellulaire et de la médecine régénérative.
L’idée s’est « cristallisée » dans l’esprit du chercheur après avoir lu que les poissons téléostéens pouvaient survivre à des températures inférieures au point de congélation grâce à des protéines antigel qui empêchent la formation de cristaux de glace.
Robert Ben, qui se spécialise dans la chimie organique et médicinale de synthèse a l’Université d’Ottawa, a développé cette technologie avec le professeur Jason Acker de l’Université d’Alberta, avec qui il a fondé PanTHERA CryoSolutions. L’entreprise privée vient d’ailleurs de recevoir un investissement de 4 millions de dollars pour les deux prochains deux années. Cette somme permettra de développer cette technologie et d’autres similaires, notamment pour conserver les échantillons prélevés lors des tests de dépistage de la COVID-19 ainsi que les vaccins à base d’ARN.
Pourquoi ce projet?
« Il y a un bon moment que nous congelons des cellules et des tissus pour mettre au point des thérapies cellulaires destinées à traiter une panoplie de maladies. Depuis les années 1950, nous utilisons des cryoprotecteurs comme le diméthylsulfoxyde ou le glycérol pour tenter d’empêcher la mort des cellules pendant la congélation et la décongélation.
« Le problème avec ces cryoprotecteurs, c’est que ça ne marche pas à tous les coups. Sur 100 000 cellules congelées, il nous arrive de ne pouvoir récupérer que 25 000 cellules vivantes utilisables pour la recherche ou les applications cliniques. Or, jusqu’à 80 % des dommages sont engendrés par la formation non contrôlée de cristaux de glace pendant la congélation. Puisque les cryoprotecteurs actuels ne règlent pas ce problème, nos résultats quant à la récupération et au fonctionnement des cellules demeurent insatisfaisants. »
Qu’est-ce qui limite l’efficacité de la congélation des échantillons?
« La formation de glace, ou recristallisation, est un effet inévitable de la congélation. Avec le temps et les fluctuations de température, les cristaux de glace deviennent de plus en plus gros, ce qui endommage la membrane de nombreuses cellules et provoque leur détérioration ou leur mort.
« C’est exactement ce qui se produit dans votre congélateur, poursuit-il. Pensez à de la crème glacée après quelques semaines de congélation. Le goût et l’apparence diffèrent de la crème glacée fraîche, n’est-ce pas? C’est parce que les cristaux de glace modifient la structure du produit, ce qui affecte son goût et l’ensemble de ses caractéristiques. »
Quel est le lien entre les dommages de la glace et la taille des cristaux?
« Ce sont les gros cristaux de glace qui endommagent les membranes cellulaires; les petits cristaux ne posent pas de problème. Ils sont comme les grains de sable d’une plage des Caraïbes : si petits qu’ils s’adaptent à votre corps et que vous pouvez rester allongé confortablement sur la plage pendant toute une journée. Mais imaginez que ces grains de sable sont remplacés par du gravier ou des cailloux… C’est beaucoup moins confortable! Notre technologie de cryoconservation empêche les cristaux de glace de se développer pendant la congélation et la décongélation; ils restent donc petits, ce qui assure la survie des cellules. »
Quels sont les avantages de votre technologie?
« Plus la température descend, plus le processus de recristallisation est ralenti. C’est pourquoi certains médicaments, comme les vaccins, doivent être maintenus à des températures très basses pour prolonger leur conservation. Par exemple, le vaccin contre la COVID-19 de Pfizer doit être conservé à -70 degrés Celsius pour empêcher que les cristaux de glace deviennent trop gros et n’endommagent le produit. Grâce à notre technologie, les cellules, les tissus et les organes – et éventuellement les vaccins et d’autres matériaux biologiques – pourront être conservés à une température plus élevée, ce qui facilitera leur stockage et leur expédition vers des régions éloignées.
« Nos molécules sont uniques, puisqu’elles préviennent les dommages cellulaires causés par la glace, contrairement aux cryoprotecteurs classiques. En fin de compte, nous avons accès à davantage de cellules saines et fonctionnelles. Aucun autre produit n’offre de tels avantages ni de telles possibilités sur le plan médical. »
La technologie de base a été créée dans le cadre d’un projet de recherche collaboratif entre l’Université d’Ottawa et l’Université de l’Alberta cofinancé par GlycoNet, l’un des centres d’excellence nationaux (CEN) du Canada, les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie (CRSNG) du Canada, la Société canadienne du sang, le Programme d’aide à la recherche industrielle (PARI), le Conseil national de recherches du Canada (CNRC) et Mitacs.
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