À cet égard, le CRCCF se démarque et joue un rôle de premier plan de par ses fonctions de recherche, de publication, de diffusion, d'acquisition et de conservation d'une riche collection de fonds d'archives. Organisme scientifique et culturel, le Centre est le principal conservateur de la mémoire collective de l'Ontario français, qu'il met en valeur par le biais d'initiatives interuniversitaires, de colloques, d'expositions, de conférences et de publications afin de favoriser l'avancement et l'épanouissement de cette culture.
Historique
Le Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) est le plus ancien centre de recherche sur la littérature, la culture et l'histoire du Canada français.
Au début, un noyau de chercheurs
La fondation d'un centre de recherche consacré à la littérature canadienne-française à l'Université d'Ottawa, en 1958, s'inscrit dans une conjoncture d'émancipation nationale par rapport à la littérature française, jusqu'alors considérée comme la seule valable dans le monde francophone. En 1860, l'émergence de l'École littéraire de Québec, à l'instigation de l'abbé Henri-Raymond Casgrain, joua un rôle important dans l'histoire de cette littérature de chez nous, tout comme l'École littéraire de Montréal fondée en 1895, qui regroupait des écrivains et des poètes tels Jean Charbonneau, Albert Ferland, Louvigny de Montigny et Émile Nelligan. Le père Louis-Marie-Cyprien Le Jeune, professeur de rhétorique à l'Université d'Ottawa, démontre un intérêt marqué pour l'histoire de cette littérature en fondant la Revue littéraire de l'Université d'Ottawa en 1900. Jusqu'au milieu du siècle, la recherche se poursuit grâce à l'instigation de passionnés, tel Séraphin Marion, fonctionnaire et professeur de littérature canadienne à l'Université d'Ottawa de 1926 à 1954.
En 1951, un jeune chercheur récemment arrivé de Pologne, Paul Wyczynski, se consacre à la préparation d'une thèse de doctorat sur Émile Nelligan tout en enseignant la littérature à l'Université d'Ottawa. Grand passionné des études littéraires canadiennes-françaises, il souhaite créer un lieu et un milieu propices pour les chercheurs. Il confie ses ambitions à trois de ses collègues, le père Bernard Julien, Jean Ménard et Réjean Robidoux, puis, le 5 juin 1958, il présente au doyen de la Faculté des arts, le père René Lavigne, et au recteur, le père Henri Légaré, le résultat de ses observations sur la perspective de créer un centre de recherche en littérature canadienne-française (CRLCF). En juillet de la même année, les quatre collègues présentent un mémoire au recteur, sollicitant les ressources pour la mise sur pied de ce futur centre. Le 2 octobre 1958 naît officiellement le CRLCF : premier du genre au Canada.
Les fondateurs durent composer avec les faibles moyens dont ils disposaient. Selon les paroles de Paul Wyczynski « [i]l a fallu tout créer, tout inventer, bâtir à la fois les fondations, les murs et le toit ». Le CRLCF est hébergé au Département de français pendant les premières années, puis la Faculté des arts lui attribue des locaux où il serait désormais possible de mettre sur pied une bibliothèque et une collection de fonds d'archives, en plus d'offrir un espace d'échange et de recherche aux chercheurs. Wyczynski avait entrepris de rassembler un corpus de livres, de revues et de documents divers bien avant la fondation du Centre, mais au cours des années 1966 à 1968, les acquisitions de fonds d'archives connaissent une spectaculaire croissance. Le corpus s'accroît de trois mille cinq cent livres, d'une cinquantaine de revues, de manuscrits, de photographies, d'environ cinq cent bobines de microfilms, d'une centaine de disques et d'innombrables coupures de journaux.
La mission du Centre
La vision de départ du CRLCF, axée sur la recherche, allait être rapidement dépassée. De 1959 à 1962, le Centre est appelé à jouer un rôle au niveau de l'enseignement par sa contribution à la création de sept cours au niveau des études supérieures et de deux cours de baccalauréat au sein du programme du Département de français portant sur la littérature canadienne- française. Les thèmes varient selon les champs d'intérêts des professeurs : on offre ainsi des cours sur les écrivains, sur la sociologie canadienne-française et sur l'étude comparée des littératures de l'Amérique du Nord.
Ce bouillonnement intellectuel produit une recrudescence de mémoires et de thèses traitant de personnages marquants de cette littérature : Octave Crémazie, Arthur de Buissière, Albert Lozeau, Charles Gill et plusieurs autres. Après dix ans d'existence, le Centre a déjà cinq collections de publications à son actif: « Archives des lettres canadiennes », « Visages des lettres canadiennes », « Voix vivantes », « Présence », et « Les Cahiers du centre de recherche en littérature canadienne-française ». Ces publications appuient à la fois le domaine de l'histoire littéraire, des auteurs, de la poésie, des éditions critiques et des études littéraires.
Grâce aux conférences et expositions qu'il organise, le CRLCF devient un pôle important de la vie intellectuelle canadienne-française. Il accueille des écrivains et artistes tels que Louis-Joseph Doucet, Guy Sylvestre, Gérard Bessette, Suzanne Paradis, Alfred Desrochers, Gilles Vigneault, Yves Thériault, Claire Martin, Robert Choquette, Félix- Antoine Savard et tant d'autres.
Au début, un noyau de chercheurs
Devant le succès remporté auprès de la communauté intellectuelle canadienne-française, le Centre caresse le projet d'élargir son mandat. Entre 1967-1968, le CRLCF créé un poste de directeur des publications pour les cinq collections puis, l'année suivante, il devient interdisciplinaire en intégrant la littérature, l'histoire et les beaux-arts à ses champs d'intérêts. Il portera désormais le nom de Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF).
Un autre changement majeur survient le 1er juillet 1973, lorsque Paul Wyczynski annonce son départ après 15 ans aux commandes du Centre. Il cède sa place à un historien spécialiste de l'histoire intellectuelle, culturelle et religieuse du Canada français, Pierre Savard. Le nouveau directeur, plus ouvert aux autres disciplines, modifie quelque peu la structure administrative. Jusque là rattaché à la Faculté des arts, le Centre passe en 1978 sous la gouverne de l'École des études supérieures et de la recherche, ce qui reflète davantage son interdisciplinarité. Entre 1970 et 1985, le CRCCF connaît un rayonnement sans pareil dû à l'accroissement de ses activités de recherche, ses publications, ses colloques et ses conférences mais également grâce au dynamisme de son directeur. Cette croissance concorde avec le développement des études sur la littérature franco-ontarienne.
La seconde moitié des années 1980 et le début des années 1990 marquent l'avènement de restrictions budgétaires dans les services publics y compris l'enseignement supérieur. Sous la direction de Yolande Grisé (1985-1997), le CRCCF doit faire face à de drastiques coupures budgétaires qui vont jusqu'à menacer l'existence même du Centre. Une évaluation externe réalisée en 1989 et plusieurs changements d'ordre administratif apportés entre 1992 et 1997 laissent entrevoir un avenir incertain pour le CRCCF. Il est même question d'une possible fusion avec l'Institut d'études canadiennes, mais les protestations fusent de toutes parts dans la communauté franco-ontarienne et l'Université abandonne cette idée.
Le Centre profite de ces difficultés pour évoluer, se donner de nouveaux statuts et moderniser sa structure. Robert Choquette (1997-2000) puis Jean-Pierre Wallot (2000-2006) inscrivent le CRCCF dans la recherche institutionnelle au tournant du XXIe siècle, l'ouvrant aux sciences sociales et à la francophonie canadienne.
Détenteur d'une riche expérience de 20 ans en recherche et en enseignement de l'histoire de la francophonie nord- américaine, Yves Frenette intègre cette perspective aux activités du Centre au cours de son mandat (2007 à 2010) : à ses yeux, cette ouverture exprime mieux la solidarité des francophones du continent, quel que soit le territoire où ils habitent. Plus concrètement, il articule les actions du Centre autour des événements marquants de la décennie : 2008, 50e anniversaire de fondation du Centre et 2010, 400e anniversaire de l'arrivée du premier Français sur le territoire qui allait devenir l'Ontario, ainsi que le centenaire de la création de l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario (ACFEO). En outre, Frenette contribue grandement à accroître la visibilité du Centre dans les domaines des archives, de la recherche et de l'édition en multipliant les collaborations avec les chercheurs étrangers. En recevant le prestigieux Prix du 3-Juillet-1608, le 30 septembre 2009, le CRCCF a également accru sa visibilité au sein de l'Université d'Ottawa et dans toute la francophonie nord-américaine 2.
Une riche collection documentaire
La collection du Centre se développe progressivement entre 1958 et 1980 à même les corpus des chercheurs fondateurs, et ce avant même la fondation du CRLCF. À cette époque, Paul Wyczynski fréquente les membres de l'École littéraire de Montréal dans le cadre de ses recherches doctorales sur Émile Nelligan. Une note tirée de « mémoire des quatre » du 5 août 1958 retrace le commencement de cette collection : « On trouve un dépôt chez le R. P. Julien et chez Paul Wyczynski [comprenant] les archives des Jean Charbonneau, de Louvigny de Montigny, des documents littéraires et iconographiques concernant Gaston de Montigny et Charles Gill et plusieurs lettres de Joseph Melançon, de Louis Dantin, de Gonzalve Desaulniers, d'Émile Nelligan, de Gérin-Lajoie... [...] Nous sommes aussi la seule université canadienne qui possède en microfilm tous les procès-verbaux de l'École littéraire de Montréal. »
L'élargissement de la vocation du Centre et la réorganisation des archives, suite à l'embauche d'un archiviste en 1968, attestent de sa vitalité. L'année suivante, l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO) décide de confier ses archives au CRCCF : cette date marque une étape importante dans le développement de la collection et, surtout, consacre le Centre comme lieu de mémoire documentaire des Franco-Ontariens.
Les nouvelles acquisitions triplent le contenu de la collection par rapport à la première décennie, si bien que les ressources documentaires du Centre passent à 232 fonds d'archives en 1980, puis à 307 en 1985, sans parler des périodiques, journaux et ouvrages de références de la bibliothèque. En 2011, le CRCCF compte plus de 525 fonds et collections d'archives comprenant des documents textuels, photographiques, sonores, images en mouvement et autres, le tout accessible via une base de données, dont une partie est accessible en ligne sur son site Web et sur ceux des réseaux canadien et ontarien d'information archivistique.
Cette effervescence contribue également à diversifier les champs d'acquisition des archives du Centre selon quatre axes de développement : Culture du Canada français, les Ottaviens, les francophones de l'Ontario, le Canada français et les francophonies canadiennes. Les archives du CRCCF regroupent ainsi un formidable patrimoine commun et témoignent d'un véritable pan de la culture française au Canada.
Les nouvelles orientations du CRCCF
Les fondateurs du Centre ont été des pionniers dans l'étude et la promotion de la littérature québécoise. Leurs successeurs, en élargissant ses perspectives disciplinaires, ont contribué à l'émergence du champ, devenu aujourd'hui vigoureux, des études sur la francophonie canadienne. Le regard pluridisciplinaire qu'ils ont posé sur ses milieux de vie et l'action stimulante qu'ils y ont menée n'est pas étranger à l'émergence d'une identité franco-ontarienne moderne.
Anne Gilbert, à la direction depuis juillet 2010, compte relever le défi de maintenir le CRCCF à la place enviable qu'il occupe au sein de l'Université d'Ottawa et dans la communauté plus large de la recherche sur la francophonie nord- américaine. Elle cherche à développer avec divers partenaires universitaires et communautaires des projets de recherche interdisciplinaire sur les cultures et les sociétés qui ont tissée l'histoire des francophones du Canada. Animée par les trois chaires de recherche sur la francophonie canadienne associées au CRCCF et par les autres spécialistes de la francophonie oeuvrant autour du Centre, la recherche s'articulera autour de cinq chantiers interdépendants : la littérature et le théâtre, l'éducation, les institutions et les associations, la langue, ainsi que la région de la capitale nationale. L'interdisciplinarité et la convergence guideront les initiatives.
Le gardien d'un précieux patrimoine culturel
Le CRCCF est désormais le principal centre d'archives de l'Ontario français et l'un des plus importants de la francophonie canadienne. Sa collection reflète la transformation progressive du Canada français, d'identité unique à identités multiples. Ses archives constituent également un important corpus de sources primaires, indispensables à la recherche dans les différentes disciplines des sciences humaines et sociales. C'est donc un formidable pan de la culture française au Canada qui est offert aux chercheurs universitaires ainsi qu'au grand public francophone et francophile. Depuis plus d'un demi-siècle, le Centre participe à l'essor de la francophonie nord-américaine et considère comme un immense privilège de pouvoir contribuer à cette grande aventure.
Nicole Bonsaint Archiviste, audiovisuel et photographies, CRCCF